Expatriations fiscales : de l’exil à l’exode

Publié le 5/08/2016

Article paru dans Les Echos du 5/6 août 2016.

 

Entre 2000 et 2014, la France aurait perdu 43.000 foyers fiscaux millionnaires, sur un total de 323.000. A cause de cette expatriation massive, l’image de la France est ternie.

Les Français n’aiment pas les riches (« La Sagesse de l’argent », Pascal Bruckner, Grasset). Le premier d’entre eux l’a d’ailleurs publiquement exprimé. Un des baromètres infaillibles pour mesurer ce mépris réside dans l’analyse de notre fiscalité. Elle soumet les patrimoines à une kyrielle d’impôts, dont les taux apparaissent confiscatoires au regard de la récente baisse des rendements de toutes les classes d’actifs. Malgré tout, notre pays refuse de reconnaître une des conséquences majeures de ce choix politique : l’exil massif de Français fortunés vers des pays ayant une fiscalité plus raisonnable.

Selon le ministère de l’Economie et des Finances, il n’existe pas de statistiques permettant de mesurer ce phénomène. Mieux, il n’y aurait en réalité pas d’exil car les rentrées en matière d’ISF sont stables ou en légère progression d’une année sur l’autre. A y regarder de près, on peut toutefois s’étonner d’une telle stabilité alors que la valeur du patrimoine des personnes fortunées progresse régulièrement au plan mondial. La Direction générale des finances publiques apporte une tout autre explication. Selon elle, si le montant global de l’ISF se maintient, c’est grâce à une augmentation du nombre de nouveaux redevables qui entrent dans le seuil de l’ISF et masque le fait que le montant moyen du patrimoine taxable ne cesse de diminuer, c’est-à-dire que les très gros patrimoines français ne paient plus l’ISF. Seule explication à cette singularité : l’exil fiscal.

49 Français parmis les 300 plus riches résidents suisses

En outre, et malgré les affirmations de Bercy, il existe bien des statistiques fiables permettant d’évaluer l’exil fiscal. On les trouve à l’étranger. Ainsi de l’institut d’études New World Wealth qui mesure les flux migratoires des personnes physiques fortunées à travers le monde. Il indique qu’entre 2000 et 2014, la France aurait perdu 43.000 foyers fiscaux millionnaires sur un total de 323.000. Et pour la seule année 2015, il convient d’en ajouter 10.000 de plus. Au total, sur quinze ans, c’est presque 20 % des millionnaires français qui ont fui l’Hexagone, faisant de la France le premier pays exportateur de millionnaires.

Cependant, dénombrer les individus n’est pas suffisant. Il reste à s’interroger sur le volume de leur patrimoine et la nature des actifs qu’ils détiennent. La revue suisse « Bilan » nous y aide. Elle publie chaque année le classement des 300 personnes physiques les plus fortunées installées en Suisse. Le panorama est édifiant. En 2014, 49 Français figuraient parmi les 300 plus riches résidents suisses, représentant un patrimoine global évalué à 55 milliards d’euros ! « Last but not least », pratiquement toutes ces personnes sont de grands industriels à la tête de leur entreprise et non pas de simples rentiers vivant de leur épargne. Il existe donc des indicateurs permettant d’évaluer l’impact d’un phénomène qui s’apparente beaucoup plus à un véritable exode qu’à un exil. Il rappelle par son ampleur celui vécu à la fin du XVIIe siècle, peu après la révocation de l’édit de Nantes, lorsque les élites protestantes (commerçants et artisans) ont fui le pays et vidé de ses forces vives de nombreux secteurs économiques, créant ainsi dans les pays d’accueil de nouvelles industries qui existent encore aujourd’hui (horlogerie suisse).

Aujourd’hui, les conséquences de cette expatriation massive sont tout aussi désastreuses pour notre pays : pertes de recettes fiscales (de l’ordre de 5 à 10 milliards d’euros par an), pertes d’emplois, baisse de la consommation, et surtout, à terme, diminution du nombre d’entreprises créées en France. Car l’image de la France est ternie par le phénomène. Elle est désormais perçue de façon négative et avec méfiance par les investisseurs. Les professionnels le constatent : la première préoccupation d’un créateur d’entreprise susceptible d’avoir un certain potentiel de développement est de savoir s’il n’est pas préférable de la localiser à l’étranger pour des raisons fiscales. Redistribuer la richesse entre les citoyens est tout à fait légitime. Encore faut-il qu’il y ait une richesse à redistribuer. Or la source de toute richesse économique reste l’entreprise.

 

Retrouvez cet article sur le site des Echos

Par Philippe Bruneau et Jean-François Desbuquois

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