Philippe Bruneau dans Valeurs Actuelles : “L’aggravation fiscale crée l’incertitude”

Publié le 2/07/2025

Le consentement à l’impôt à ses limites ?

Alors que la pression fiscale ne cesse d’augmenter, le consentement à l’impôt des Français n’a-t-il pas atteint ses limites? Rien n’a changé dans l’attitude des acteurs politiques, qui se servent de la fiscalité pour tenter d’apaiser les tensions sociales au nom de la justice fiscale. Ce qui les conduit à adresser constamment les contribuables les uns contre les autres en désignant des boucs émissaires. Lorsque les grandes entreprises distribuent de gros dividendes, c’est sur le dos de leurs salariés: on oublie au passage que ceux-ci profitent de la manne chaque fois qu’ils sont eux-mêmes actionnaires de leur entreprise. On fait le procès aux retraités de profiter d’un abattement de 10 %, de même niveau que la déduction forfaitaire de 10 % pour frais professionnels accordée aux salariés. Or, les retraités n’ont pas de frais professionnels: on oublie au passage que les salariés ne supportent généralement que des frais minimes, très inférieurs au forfait.

On devrait, au contraire, s’efforcer d’aborder les questions fiscales de façon apaisée. Réfléchir, par exemple, à une redistribution du poids des impositions qui frappent les revenus et les bénéfices par rapport à celui des impositions qui frappent la consommation. Les trois quarts de la pression fiscale et sociale proviennent de la première catégorie. Taxer davantage la consommation pour alléger la taxation des revenus et bénéfices aurait des vertus, mais on se heurte à un préjugé coriace: la TVA ne peut être alourdie car ce serait un impôt injuste.

L’expression “trop d’impôt tue l’impôt”

Que veut dire concrètement l’expression “trop d’impôt tue l’impôt”? Craignez-vous une accélération de l’exil fiscal? L’expression renvoie à la célèbre courbe de l’économiste Arthur Laffer qui illustre l’idée qu’il n’est fiscalement pas rentable de dépasser un certain taux de prélèvement considéré comme “prohibitif”, au-delà duquel les personnes ne sont plus incitées à travailler, ce qui entraîne une baisse des recettes de l’État. Les contribuables sont très sensibles au taux des impositions qui les frappent. Sous l’empire de taux hauts, ils évitent les opérations génératrices d’imposition, telles que les cessions créatrices de plus-values et les distributions de dividendes. Les recettes publiques s’en ressentent. Le jour où les taux baissent, ces opérations se libèrent et alimentent abondamment les recettes publiques.

Les annonces d’aggravation fiscale dont le gouvernement nous abreuve en permanence créent une véritable inquiétude dans les rangs des contribuables qui se savent pris pour cible. Cela aboutit à des comportements d’évitement de l’impôt qui se traduisent pour certains d’entre eux par un repli légal vers des pays plus accommodants tels que la Suisse, l’Italie ou plus récemment l’île Maurice. Ce phénomène a des conséquences néfastes, car ces départs sont autant de recettes fiscales en moins pour l’État qu’il faudra combler en ponctionnant un peu plus ceux d’entre nous qui demeurent en France.

Les pistes fiscales du gouvernement

D’après vos informations, à quoi réfléchit actuellement le gouvernement d’un point de vue fiscal? Faut-il craindre de nouvelles taxes sur le patrimoine ou sur le revenu pour 2026? À ce jour, deux dispositions dirigées contre les contribuables les plus aisés sont dans l’air du temps: la contributiondifférentiellesurleshautsrevenus (CDHR) et l’impôtplanchersurlafortune (IPF). Initialement, la CDHR est temporaire et ne s’applique qu’aux revenus perçus en 2025. Elle prévoit un taux d’imposition plancher de 20 % pour les contribuables dont le revenu fiscal de référence dépasse 250 000 euros pour une personne seule ou 500 000 euros pour un couple. Le gouvernement envisage de pérenniser cette contribution. Quant à l’IPF, il s’agit d’une proposition de loi votée par l’Assemblée nationale en février de cette année qui instaure un impôt plancher de 2 % pour les personnes dont le patrimoine, y compris l’outil professionnel, est supérieur à 100 millions d’euros (4000 personnes). Adopté en première lecture contre l’avis du gouvernement, ce dispositif a peu de chances de voir le jour.

Aujourd’hui, un projet d’imposition plus léger de l’IPF dont le taux serait de 0,5 % et qui ne frapperait pas l’outil professionnel circule. On peut noter qu’il s’agit là de deux mesures hautement symboliques dont les rentrées fiscales attendues seront faibles à l’aune du montant des déficits à combler.

Les entrepreneurs sont-ils la variable d’ajustement des déficits publics ?

En la matière, les entrepreneurs peuvent être divisés en deux catégories. Les dirigeants de TPE et PME peuvent être considérés comme des vaches à lait; ceux à la tête de multinationales, comme des boucs émissaires. Dans un cas comme dans l’autre, l’année 2025 a été pour eux synonyme de majoration de l’impôt sur les sociétés, de taxation des rachats d’actions et de diverses autres taxes. En revanche, les promesses de réduction des impôts de production n’ont pas été tenues, ce qui nuit gravement à la compétitivité de nos entreprises.

Les principaux travers de la politique fiscale menée dans notre pays

Le catalogue des critiques est étoffé. On décide dans l’improvisation de créer des taxes nouvelles destinées seulement à combler les recettes publiques. Ce rafistolage incessant est éminemment malsain. Je pense, par exemple, à la taxe établie, fin 2023, sur les infrastructures qui permettent le déplacement de personnes ou de marchandises sur une longue distance (essentiellement à la charge des aéroports et concessionnaires d’autoroutes), de même qu’à la taxe sur les rachats d’actions instaurée par la dernière loi de finances. À quand le retour à l’impôt sur les portes et fenêtres ? Et tout cela émane de gouvernements qui affichent solennellement leur volonté de ne pas créer de nouveaux impôts.

À l’inverse, et par pure démagogie, on abroge des impositions sans prévoir de combler le manque à gagner qui en résulte. On l’a vu avec la suppression de la taxe d’habitation sur l’habitation principale, qui oblige l’État à sacrifier chaque année une vingtaine de milliards d’euros de ses recettes de TVA pour accorder la compensation voulue aux collectivités territoriales dépossédées de leurs recettes. On l’a vu aussi avec la suppression de la redevance de l’audiovisuel public, également financée sur les recettes de TVA.

Aucun gouvernement n’a su depuis bien longtemps tenir en cette matière la seule attitude courageuse : celle consistant à déterminer la trajectoire que doivent emprunter nos principaux impôts de rendement que sont l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés et la TVA, sans oublier les impositions locales représentées par la contribution économique territoriale (CET) et les taxes foncières. Nos gouvernants s’honoreraient en invitant les personnalités qualifiées pour représenter les contribuables à exprimer leurs vues sur la juste pondération de ces différentes impositions. Les décisions qui seraient prises après cette consultation dresseraient pour l’avenir, sans que personne ne soit pris au dépourvu, le cadre d’une réforme fiscale consensuelle.

La situation politique actuelle et la préconisation

La situation politique actuelle se prête-t-elle à votre préconisation? Pas vraiment, mais qui sait? Nous avons vu, en décembre dernier, un gouvernement tomber sur le vote d’une motion censurant un projet de budget. Une grande première depuis 1958. Plusieurs partis représentés à l’Assemblée nationale se préoccupent davantage de l’impact de leurs propositions et stigmatisations sur le corps électoral que de l’intérêt général. On est face à un désordre constitutionnel bien difficile à surmonter. L’idée lancée par le Premier ministre d’en appeler aux électeurs sur ce sujet par un référendum précédé d’une maïeutique collective me paraît être une voie à creuser, contrairement à l’opinion exprimée par la classe politique, qui s’arroge le droit d’être seule juge en la matière.

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