Taxe Zucman : l’obstacle constitutionnel

Publié le 8/09/2025

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Article paru le 8 septembre 2025 dans Les Echos (réservé pour les abonnés), par Martin Collet, membre du Cercle des Fiscalistes et professeur de droit à l’université Panthéon-Assas Paris II.

Adoptée par l’Assemblée nationale puis rejetée par le Sénat en juin dernier, la proposition de taxe dite « Zucman », écartée par François Bayrou, pourrait désormais revenir dans le débat public. Consistant à taxer chaque année à hauteur de 2 % la fortune des « ultra-riches » dont le patrimoine dépasse les 100 millions d’euros, ce nouvel impôt emporterait des effets comportementaux que les économistes peinent à estimer (expatriation des contribuables concernés ? baisse de l’attractivité du territoire ?).

Du côté des juristes, l’exercice d’évaluation s’avère plus aisé : qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore, une jurisprudence constitutionnelle aussi précise qu’abondante limite sérieusement les marges de manoeuvre du législateur en matière de taxation de la fortune.

Distinguer revenu et patrimoine

Depuis une décision du 9 août 2012 portant sur la révision du barème de l’ISF que François Hollande avait promise, le Conseil constitutionnel considère que le principe de l’égalité devant les charges publiques impose un mécanisme de plafonnement de l’impôt sur la fortune, et exige que ce plafond dépende du niveau de revenu du foyer fiscal concerné – et pas du niveau de son patrimoine.

La décision exclut que le montant d’une taxe récurrente sur le patrimoine (telle que l’IFI, l’ISF ou encore une hypothétique taxe Zucman) dépasse l’équivalent d’« une fraction totale des revenus nets de l’année précédente » du contribuable.

Pourquoi tenir compte du niveau de revenu si l’objectif est de taxer le patrimoine (au risque que, à patrimoines égaux, deux personnes soient taxées différemment selon leurs salaires ou leurs capacités respectives à tirer plus ou moins de revenus de ce même patrimoine) ? Ce choix repose sur une idée fort simple, à laquelle s’étaient d’ailleurs ralliés les gouvernements, de droite comme de gauche qui se sont succédé depuis l’instauration de l’ISF en 1988.

Ainsi, les contribuables ne sauraient être contraints de se séparer d’une partie de leur patrimoine pour acquitter, faute de revenus suffisants, un impôt frappant chaque année ce même patrimoine. Dans le cas inverse, ledit impôt apparaîtrait « confiscatoire » – tout comme l’impôt sur le revenu le devient dès que son taux avoisine les 70 %, comme on le sait depuis une décision du 29 décembre 2012.

Plafonnement

Ce n’est pas tout. Le Conseil constitutionnel précise que les revenus à prendre en compte pour déterminer le niveau de taxation maximal de la fortune sont uniquement ceux que le contribuable « a réalisés ou dont il a disposé » l’année précédente. A l’inverse, les revenus seulement « latents » ou « potentiels » qu’il pourrait tirer de son patrimoine ne peuvent être assimilés, juridiquement, à de véritables revenus.

En somme, le mécanisme de plafonnement doit aussi bénéficier aux contribuables dont les actifs ne produisent pas tous leurs fruits potentiels – lorsque les sociétés qu’ils contrôlent réinvestissent leurs bénéfices plutôt que de les distribuer sous forme de dividendes, par exemple. Or, c’est précisément ce que les promoteurs de la taxe Zucman reprochent aux ultra-riches : ces derniers disposeraient de revenus proportionnellement modestes en comparaison de leur patrimoine, ce qui réduit d’autant leur charge fiscale au titre de l’IFI comme, hier, de l’ISF.

Pour autant, une veine jurisprudentielle cohérente et patiemment construite contraint aujourd’hui le législateur d’une manière qui ne laisse guère place au doute. L’instauration d’une taxe frappant chaque année le patrimoine de contribuables, même ultra-riches, ne pourrait conduire à leur faire payer plus qu’une fraction des revenus dont ils ont réellement disposé.

De quoi faire perdre tout son intérêt à la taxe Zucman, qui, précisément, voudrait ignorer le niveau de revenu pour se concentrer sur le seul patrimoine, à rebours des exigences que le Conseil constitutionnel tire sans discontinuer depuis 2012 du principe d’égalité devant l’impôt.

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