
Durcir le pacte Dutreil, c’est prendre le risque de fragiliser l’économie française, estime Jean-François Desbuquois, qui rappelle qu’avant la mise en place du dispositif, entre 1983 et 2000, aucune transmission familiale significative n’a été réalisée.
Tribune publiée dans L’Opinion, le 28 Novembre
Les entreprises familiales sont indispensables pour l’économie et la souveraineté nationale. De multiples études démontrent leurs nombreuses externalités positives (gestion à long terme, ancrage territorial, résilience économique, meilleur climat social, engagement pour le développement durable). Il serait donc particulièrement dangereux de remettre en cause, comme certains le préconisent, le dispositif Dutreil qui, seul, permet leur transmission et leur conservation au sein de la famille.
L’argument budgétaire avancé par la Cour des comptes est erroné pour plusieurs raisons.
Il repose d’abord sur le postulat irréaliste que les dirigeants ayant transmis leur entreprise en 2024 sous le régime Dutreil avec un taux d’imposition entre 5 et 11%, auraient réalisé la même opération au taux de 45 % sans le pacte Dutreil. Or, la transmission d’une entreprise significative, actif non liquide, est tout simplement impossible dans un environnement de droits de succession aussi lourds que ceux à 45 % qu’applique la France. Démonstration en a été faite entre 1983 et 2000, époque à laquelle le pacte Dutreil n’existait pas, et où aucune transmission familiale significative n’a été réalisée. Les chefs d’entreprise prenant leur retraite étaient contraints de vendre leur entreprise souvent à un groupe étranger ou à un fonds d’investissement. C’est pour cette raison et éviter la destruction progressive du tissu entrepreneurial français que le dispositif Dutreil a été créé en 2000.
La seconde erreur de la Cour des comptes réside dans l’absence de prise en compte des recettes fiscales immédiates résultant des donations qu’il favorise. La transmission sous pacte Dutreil est réalisée dans plus de 90 % des cas entre vifs et non au décès du chef d’entreprise. Des droits de donation significatifs sont alors acquittés par anticipation. A défaut, ils n’auraient été dus par les héritiers qu’au décès de leurs parents plusieurs décennies plus tard. Dans le contexte budgétaire actuel, l’État doit privilégier des recettes fiscales rapides, même moindres, plutôt que d’attendre plusieurs décennies d’hypothétiques droits de succession. Inciter le chef d’entreprise à transmettre alors qu’il n’est pas encore trop âgé améliore considérablement les chances de réussite de la transmission par rapport à celle qui résulte d’un décès.
La Cour des comptes omet aussi de tenir compte de multiples effets positifs. Une entreprise qui reste française et n’aura pas subi une saignée de sa trésorerie, distribuée sous forme de dividendes pour permettre aux héritiers d’acquitter des droits de succession trop élevés, pourra continuer à investir et à développer son activité économique. Elle génèrera alors des rentrées fiscales plus importantes pour l’Etat les années suivantes (Impôt sur les sociétés, TVA, etc).
Tous les pays frontaliers de la France favorisent au contraire la transmission familiale des entreprises en prévoyant des dispositifs permettant de réduire la fiscalité applicable, alors même que, dans la plupart de ces pays, elle est déjà en droit commun nettement plus faible qu’en France. Le Parlement européen lui-même a adopté le 8 septembre 2015 une résolution reconnaissant toutes les caractéristiques favorables des entreprises familiales et appelant les Etats membres à ne pas entraver leur transmission, notamment à cause de la fiscalité successorale.
Le coût fiscal constitue en effet l’un des obstacles majeurs de la transmission familiale des entreprises. Une enquête menée en Grèce à la suite d’une réforme ayant fortement réduit les droits de succession en 2002 (de 20 % à 2 %) a démontré que, dans les années qui ont suivi, le taux de transmission familiale avait pratiquement doublé, et que les entreprises concernées continuaient à investir et à se développer. Là où, avant la réforme, la ponction fiscale importante opérée sur la trésorerie de la société pour acquitter les impôts de transmission, réduisait fortement l’investissement. Cela semble une évidence.
Durcir le pacte Dutreil, c’est prendre le risque de fragiliser l’économie française et de compromettre la souveraineté nationale. L’enjeu est majeur : il est temps d’alerter avant qu’il ne soit trop tard.
Le choix du placement qui accueillera des actifs financiers faisant l’objet d’un démembrement est essentiel et la fiscalité n’est pas le seul critère à considérer.
« Pour les parents, laisser un héritage à ses enfants consiste à arbitrer entre consommation personnelle et transmission familiale », estiment Jérôme Bernecoli et Frédéric Poilpré. Dans une chronique du Point publiée le 20 mai, Julien Damon propose de taxer les héritiers plutôt que l’héritage au soutien de la thèse selon laquelle il est économiquement plus avantageux d’hériter que de travailler, oubliant que les Français sont majoritairement contre l’impôt sur la mort.
Aux termes de notre législation fiscale, chaque parent peut donner – en sommes d’argent, biens (meubles, voiture, bijoux, etc.), immeubles, ou valeurs mobilières (actions, parts sociales, etc.) – jusqu’à 100.000 euros par enfant sans qu’il y ait de droits de donation à régler. Ainsi, un couple peut-il transmettre à chacun de ses enfants 200.000 euros exonérés de droits tous les quinze ans.