Donner aujourd’hui en pensant à demain

Publié le 18/04/2023

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Aux termes de notre législation fiscale, chaque parent peut donner – en sommes d’argent, biens (meubles, voiture, bijoux, etc.), immeubles, ou valeurs mobilières (actions, parts sociales, etc.) – jusqu’à 100.000 euros par enfant sans qu’il y ait de droits de donation à régler. Ainsi, un couple peut-il transmettre à chacun de ses enfants 200.000 euros exonérés de droits tous les quinze ans.

 

Par Philippe Baillot, enseignant à Paris I Panthéon-Sorbonne, membre du Cercle des fiscalistes.

Publié dans Le Point, le 13 Avril 2023

Dans les mêmes conditions, les donations consenties aux petits-enfants bénéficient d’un abattement de 31.865 euros, et celles consenties aux arrière-petits-enfants de 5.310 euros, qu’ils soient majeurs ou encore mineurs. Ces abattements peuvent, le cas échéant, se cumuler avec l’abattement spécifique aux personnes handicapées et l’exonération des dons familiaux de sommes d’argent (dans la limite de 31.865 euros sous certaines conditions), voire les « présents d’usage ».

Ces exonérations génèrent une multiplication de donations, très souvent à hauteur des abattements susvisés. Or une telle pratique interroge.

Le premier risque découle de la mise à la disposition de jeunes adultes de sommes d’argent propres à les gâter : 327.460 euros, soit 200.000 euros (100.000 x 2) de leurs parents, et 127.460 euros (31.865 x 4) de leurs quatre grands-parents. Naturellement, diverses techniques – don de la seule nue-propriété, décalage dans le temps de la disposition effective… – sont le plus souvent mises en œuvre pour réduire ce danger. Pour autant, elles ne l’écarteront jamais complètement.

Le second risque vise la situation des donateurs. Leur penchant naturel à aider leur progéniture, conforté par l’existence de ces abattements dans un cadre de haute pression fiscale, biaise trop souvent leurs réflexions. En effet, le fait de se démunir de son vivant conduit à prendre le risque de survivre à son propre capital. Fort heureusement, nous ignorons « le temps qu’il nous reste à vivre », mais, trop souvent, nous le sous-estimons massivement. A titre d’exemple, un couple de 6o ans a 50 % de chances de voir un de ses membres l’épouse, 5 chances sur 6 ! – fêter son 94ème anniversaire… Or, à de tels horizons, comment s’assurer que le capital transmis ne viendra pas à manquer au financement du train de vie, par exemple en cas de survenance d’une situation de dépendance ?

Aussi une donation ne devrait-elle s’envisager qu’avec la certitude – quelles que soient les hypothèses d’inflation, de longévité (au-delà de 100 ans), de diminution du rendement des retraites par répartition, de recul des marchés financiers, de baisse des revenus fonciers – que les capitaux transmis ne feront pas défaut au financement du train de vie durant le troisième âge et plus encore durant le quatrième. Ce questionnement devra surtout être conduit avec les hypothèses les plus sombres : « Il faut se rappeler que même les paranoïaques ont des ennemis », dit l’adage.

À l’évidence, une telle certitude ne peut être le fait que de détenteurs des patrimoines les plus élevés. Or seulement 10% des patrimoines net des foyers dépassent 633 .00 euros (hors patrimoine social). La plupart ne peuvent donc clairement envisager, sans risque, un tel dépouillement. Quant à ceux (1%) qui ont les patrimoines les plus élevés – supérieurs à 2.072.600 euros -, ils n’autoriseront même pas tous une telle prodigalité, sauf à envisager sans appréhension la bien heureuse perspective de finir ses jours dans un ashram. ashram. Les donations considérées ne devraient donc être le fait que de quelques happy few ou viser la seule nue-propriété des biens, sans alors offrir de bénéfice immédiat aux plus jeunes.

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