De nouvelles clés d’entrée dans la Charte

Publié le 26/05/2025

 

 

Article écrit par JÉRÔME TUROT, Paru le 15 Mai 2025 dans la Revue de Droit Fiscal

 

Le Conseil d’État juge que les principes généraux du droit de l’UE s’appliquent à l’exit tax, bien qu’il s’agisse d’une mesure de fiscalité directe : la taxe entre dans le champ d’application du droit de l’UE car elle constitue une restriction à l’une des libertés garanties par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Il en résulte que la date du 3 mars 2011 retenue par le législateur pour fixer la date d’application du rétablissement de la taxe, antérieure à l’adoption par le conseil des ministres le 11 mai 2011 du projet de loi de finances prévoyant de rétablir cette taxe, porte atteinte aux principes de protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique : la bonne foi des opérateurs a été surprise. Cet arrêt élargit le champ d’application des principes généraux du droit de l’Union, et de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, aux réglementations nationales et aux redressements individuels qui sont de nature à entraver une liberté fondamentale garantie par le TFUE, au-delà des litiges en matière de TVA où ils étaient jusqu’ici cantonnés.

La présente étude explore les potentialités de ce nouveau contrôle de conventionnalité, plus vastes
que celles qu’offre la Convention EDH.

Avec un peu de recul, l’arrêt Åkerberg Fransson, rendu en grande chambre, apparaît comme le grand arrêt par lequel la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a lancé l’essor spectaculaire de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Toute sa philosophie des droits fondamentaux est résumée d’une phrase simple et ambitieuse : « il ne saurait exister de cas de figure qui relèvent ainsi du droit de l’Union sans que lesdits droits fondamentaux trouvent à s’appliquer ». Restait à explorer et délimiter ce que la Cour appelle, d’une expression délibérément vague, des « cas de figure » relevant du droit de l’Union. Ou bien, autre façon de formuler la question, restait à trouver la clé d’entrée de l’invocabilité des principes généraux du droit de l’UE, selon l’expression de Bastien Lignereux dans ses conclusions sur l’arrêt ici commenté (il s’agit même d’un véritable trousseau de clés, dont le nombre augmente).

L’arrêt Morin du Conseil d’État qui suscite cette étude fournit l’une de ces clés, celle qui fait tourner la serrure qu’on croyait grippée du principe de confiance légitime. Cette décision a déjà fait l’objet de précieux commentaires, d’abord sous l’angle de la portée du principe de confiance légitime, puis d’un aperçu rapide soulignant la portée plus générale de cet arrêt. On ne s’intéressera pas ici au principe de confiance légitime en tant que tel, mais à l’importance que les principes généraux du droit de l’Union et les dispositions de la Charte sont en train de prendre pour les acteurs du contentieux fiscal.

L’arrêt du Conseil d’État se situe en continuité des développements qu’a connus la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qui méritent d’être recensés ; mais qu’apporte la Charte que la Convention EDH n’apportait pas déjà ?

I. Les multiples portes de la Charte

Le champ d’invocabilité de la Charte s’est étendu dans des directions qui sans être imprévisibles, n’étaient que conjecturables : aux restrictions apportées par l’État membre à l’une des libertés de circulation qui sont les piliers du droit de l’UE, aux mesures librement adoptées par le législateur national à l’intérieur de la marge d’appréciation que lui laisse une directive, et, plus remarquable encore, aux procédures pénales mises en œuvre pour assurer le respect du droit de l’UE.

A. Aux restrictions apportées aux libertés communautaires

Jusqu’alors, le Conseil d’État n’avait reconnu l’invocabilité des principes généraux du droit de l’UE, en matière fiscale, que dans des situations où une directive trouve à s’appliquer, qu’il s’agisse de litiges relatifs à la TVA ou à l’application du régime mère-fille dans un contexte transfrontalier, ainsi que Bastien Lignereux le rappelle avec précision dans ses remarquables conclusions.

C’est ainsi notamment que, dans un arrêt SCI Péronne, très remarqué, le Conseil d’État a admis l’invocabilité de l’article 47 de la Charte, ce qui l’a conduit, compte tenu de la conception exigeante qu’en a la Cour de justice, à faire produire un effet à l’article 47 sur la procédure administrative non contentieuse, autrement dit, antérieure à toute procédure juridictionnelle. En effet, selon la CJUE, le contribuable doit pouvoir accéder « aux documents qui ne servent pas directement à fonder la décision de l’administration fiscale, mais peuvent être utiles à l’exercice des droits de la défense, en particulier aux éléments à décharge que cette administration a pu rassembler ». Le Conseil d’État donne ce faisant au contribuable des droits élargis d’accès à son dossier administratif, incluant les pièces à décharge que le service n’a pas l’obligation de communiquer sous le régime de l’article L. 76 B du LPF.

Cet arrêt SCI Péronne ouvre une interrogation majeure : que se passera-t-il le jour où un contribuable fera l’objet, à l’issue du même contrôle, de redressements à la fois en matière de TVA et en matière d’impôt sur les sociétés ? Il pourrait arriver que ce contribuable soit en mesure d’obtenir, sur le fondement des droits de la défense dans l’extension que leur donne la Charte (par exemple en matière de droit d’accès au dossier, puisque la Charte donne à ce droit une extension beaucoup plus large que celle qui ressort des dispositions de l’article L. 76 B du LPF), la décharge du redressement de TVA, mais non celle du redressement d’impôt sur les sociétés résultant de ce même contrôle. Cette conséquence déconcertante pourrait inciter le législateur ou le juge fiscal à élever le standard de droit interne pour le mettre au niveau des exigences de la Charte.

Mais le Conseil d’État n’avait pas eu jusqu’ici l’occasion de reconnaître l’invocabilité de la Charte dans les litiges en matière d’impôt sur les bénéfices.

Pourtant l’application de la Charte par le juge fiscal n’était pas enfermée dans le champ de la TVA, contrairement à ce qui a pu être affirmé. Aucune hésitation n’avait retenu la Cour de juger, depuis sa jurisprudence ERT de 1991, que les États membres sont liés par les principes fondamentaux du droit de l’Union non seulement quand ils mettent en œuvre directement ce droit (dans un litige de TVA ou portant sur l’application d’une directive), mais aussi quand ils prennent une mesure individuelle (un redressement fiscal peut constituer une mesure individuelle d’exécution du droit de l’UE) qui affecte une liberté fondamentale garantie par les traités. Cette position audacieuse avait été définie à propos des principes généraux du droit, avant l’entrée en vigueur de la Charte, et elle a été étendue bien évidemment aux stipulations de la Charte par l’arrêt de grande chambre, Commission c/ Hongrie. Elle donne un essor considérable au champ d’application de la Charte.

Tout obstacle mis par un État à la mise en œuvre du droit de l’Union (par exemple, l’exercice par un contribuable de sa liberté d’établissement) consiste pour cet État, paradoxalement, à mettre en œuvre ce droit.

Chaque fois qu’une règle ou une décision fiscale individuelle a pour effet de restreindre – quand bien même ce serait validement et conformément au principe de proportionnalité – l’une des libertés communautaires, l’État est réputé mettre en œuvre le droit de l’Union, puisque celui-ci encadre la faculté d’y déroger. Par conséquent, lorsqu’un État applique à un contribuable une telle dérogation, il est tenu de respecter les garanties processuelles qui résultent des principes généraux du droit de l’UE, et des stipulations de la Charte qui en sont la codification (à la fois plus précise mais en revanche partielle).

C’est ce vers quoi se dirige le Conseil d’État dans l’arrêt ici commenté. En l’espèce, ce n’est pas la Charte que le Conseil d’État reconnaît applicable à l’encontre d’un dispositif fiscal de droit interne, en l’occurrence l’exit tax : c’est le principe de confiance légitime, principe général du droit de l’UE dégagé de façon prétorienne par la Cour bien avant l’avènement de la Charte. Alors que, curieusement, le principe de confiance légitime est absent du texte de la Charte, cet arrêt du Conseil d’État illustre le fait que les principes généraux du droit de l’UE ne sont pas devenus obsolètes : ils conservent une existence autonome et n’ont pas été « écrasés » par l’entrée en vigueur de la Charte. Ces principes généraux peuvent ainsi inspirer l’interprétation des droits garantis par la Charte, et même les compléter.

En matière de contentieux fiscal, il apparaît que les principes généraux du droit de l’Union, et certainement aussi les droits garantis par la Charte, comme le souligne Charles-Emmanuel Airy dans sa chronique précitée, sont susceptibles d’être invoqués dès lors que l’administration fiscale inflige des redressements susceptibles de pénaliser ou de décourager l’exercice d’une des quatre libertés garanties par le marché unique, à savoir la libre circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes. Lors de la mise en œuvre de ce redressement, l’Administration doit veiller, et le juge après elle, à respecter notamment le droit à l’accès au dossier ou les droits de la défense à tous les stades de la procédure administrative, dans l’extension que leur donne la jurisprudence de la Cour de justice, droits qui vont souvent au-delà des exigences du Livre des Procédures Fiscales.

Le maniement de ces libertés fondamentales n’est cependant pas aussi simple que celui d’une directive. Ces libertés ne sont a priori pas applicables dans une situation où tous les éléments du litige au principal sont cantonnés dans un seul État membre. La liberté d’établissement ou de circulation des capitaux ne serait d’aucun secours dans un litige fiscal dont toutes les données se situent en France : il est nécessaire que le redressement chevauche les frontières.

Il ne suffit pas non plus que la restriction à l’une de ces libertés soit théorique ou éventuelle. La Cour vérifie l’existence d’éléments concrets, permettant d’établir, de manière positive, l’intention de ressortissants d’un État membres de faire usage de ces libertés fondamentales dans la situation en cause, comme l’exprime l’arrêt Fremoluc : « (…) pour considérer qu’il existe un tel lien de rattachement [au droit de l’Union], la seule affirmation, par la juridiction de renvoi, selon laquelle il ne peut être exclu que des ressortissants établis dans d’autres États membres aient été ou soient intéressés à faire usage des dispositions de l’Union relatives aux libertés fondamentales pour exercer des activités sur le territoire de l’État membre ayant édicté la réglementation nationale en cause et, partant, que cette réglementation, indistinctement applicable aux ressortissants nationaux et aux ressortissants d’autres États membres, soit susceptible de produire des effets qui ne sont pas cantonnés à cet État membre, ne saurait suffire. »

Parmi les exemples de situations dans lesquelles l’atteinte à la liberté de circulation a été jugée purement théorique, on citera l’affaire étonnante d’un magistrat qui avait assassiné un avocat après l’audience, et avait été condamné pour ce meurtre à une peine de réclusion à perpétuité. Son procès ayant ultérieurement été déclaré inéquitable, il demandait réparation de son préjudice en invoquant la liberté de circulation des personnes, arguant que « dès lors que tout citoyen peut circuler librement sur le territoire des États membres sans but de séjour précis, l’État qui porte atteinte à ce droit fondamental garanti par le droit communautaire, en exécutant une peine d’emprisonnement illégale, doit être tenu à réparation en vertu du droit communautaire ». La Cour a répondu que si toute privation de liberté est de nature à entraver l’exercice par l’intéressé de son droit à la libre circulation, la perspective purement hypothétique d’un tel exercice ne constitue pas un lien suffisant avec le droit communautaire. Nul doute que la Cour a également été sensible à la nécessité de contenir dans des limites raisonnables tant l’invocabilité des libertés fondamentales que les divergences qui peuvent se produire entre les magistrats et les avocats…

Notons aussi la question plus sérieuse et pertinente que posait l’affaire d’un enseignant allemand qui contestait le refus des autorités allemandes de l’admettre à une formation professionnelle. Pour établir l’existence d’un lien avec le droit de l’Union, il faisait valoir qu’en le mettant dans l’impossibilité de suivre cette formation, on l’empêchait de poser sa candidature pour des postes dans des écoles situées dans d’autres États membres. La Cour répond qu’une perspective professionnelle purement hypothétique dans un autre État membre ne constitue pas un lien suffisant avec le droit communautaire pour justifier l’application de la liberté de circulation des travailleurs.

B. Aux mesures prises à l’intérieur de la marge d’appréciation laissée aux États

Il va de soi qu’une législation nationale de transposition d’un règlement ou d’une directive constitue la mise en œuvre du droit de l’Union. Il en est de même pour une mesure nationale d’exécution d’une directive, étant souligné qu’un redressement en matière de TVA constitue une mesure prise pour l’exécution des directives TVA.

Il est donc possible pour le contribuable qui fait l’objet d’un tel redressement d’invoquer les droits qu’il peut tenir de la Charte, notamment en ce qui concerne la procédure administrative de redressement.

Il était moins évident de prévoir si la Charte allait s’appliquer lorsque le législateur national a fait usage de la marge d’appréciation que la directive laisse aux États au stade de la transposition. L’État membre est-il soumis aux stipulations de la charte lorsqu’il a adopté une règle qui ne se trouve pas telle quelle dans la directive, mais uniquement dans la loi de transposition, et qui constitue un choix propre du législateur national ? La même question se pose au stade de l’exécution, lorsque l’administration fiscale effectue un redressement sur la base de dispositions du CGI qui ont été adoptées dans ces conditions.

La réponse de la Cour a été que le législateur est également réputé mettre en œuvre le droit de l’Union lorsqu’il utilise cette marge d’appréciation lors de la transposition de la directive : ainsi jugé dans l’important arrêt Florescu, à propos d’engagements de politique économiques qui laissaient à l’État membre une importante marge de manœuvre : « Il est vrai que le protocole d’accord laisse une marge de manœuvre à la Roumanie pour décider des mesures qui sont les mieux à même de mener au respect desdits engagements. Toutefois, d’une part, lorsqu’un État membre adopte des mesures dans le cadre du pouvoir d’appréciation qui lui est conféré par un acte du droit de l’Union, il doit être considéré comme mettant en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. »

Cette jurisprudence implique que, lorsque le législateur « surtranspose » une directive européenne, il ouvre aux contribuables la faculté d’invoquer les garanties de la Charte, alors même que le litige porte sur des prescriptions qui ne découlent pas de la directive. On sait que la surtransposition désigne le fait, lors de la transposition d’une directive européenne, d’adopter des mesures allant au-delà de celles que la directive rend nécessaire, que ce soit par un élargissement du champ, un ajout d’obligations ou un alourdissement des charges administratives.

Le législateur a ainsi souvent adopté des obligations de reporting plus détaillées ou des exigences de documentation plus strictes que celles imposées par le droit européen, notamment en matière de prix de transfert ou de transparence fiscale. La directive (UE) 2018/822 du 25 mai 2018 (dite « DAC 6 ») sur la déclaration des dispositifs transfrontières fournit un cas concret de surtransposition en matière fiscale, auquel peut s’appliquer la jurisprudence Florescu. Lors de sa transposition, par l’ordonnance n° 2019-1068 du 21 octobre 2019, la France a ajouté des obligations déclaratives supplémentaires, notamment en élargissant la définition des dispositifs à déclarer, ou en imposant des délais plus stricts que ceux prévus par la directive. Les entreprises qui se verraient sanctionnées pour non-respect de ces obligations devraient selon nous pouvoir invoquer les garanties de la Charte, alors même que ces obligations ne résultent pas de la directive.

C. Au texte par lequel le législateur national applique une directive aux opérations purement domestiques ?

À propos d’une autre forme de surtransposition lato sensu, il convient de se demander si l’extension de la directive fusions aux situations internes rend invocable la Charte à un litige purement national. La question nécessite préalablement de déterminer si ce type de surtransposition constitue une mise en œuvre du droit de l’Union.

Il est certain que lorsque le législateur a choisi librement de ne pas traiter différemment les situations concernant uniquement des sociétés françaises et celles qui sont dans le champ de la directive, il se produit une imprégnation du régime domestique par la directive. Cette imprégnation est-elle suffisante pour entraîner l’invocabilité de la Charte ?

Lorsque le législateur national transpose une directive par un texte unique s’appliquant tant aux opérations transfrontalières qu’aux opérations purement françaises, le Conseil d’État va aussi loin que possible dans son effort pour ne pas distinguer là où le législateur n’a pas voulu distinguer. Au minimum, le droit interne doit dans ce cas être interprété à la lumière des objectifs de la directive, selon la jurisprudence Technicolor. Si cette interprétation téléologique ne suffit pas pour éviter d’avoir à appliquer à une opération domestique une disposition qui serait inapplicable à une opération intracommunautaire, le Conseil d’État va plus loin : selon la jurisprudence SARL Méditerranée Automobiles, il recherche une interprétation neutralisante de la loi interne, alors même que l’opération est purement française. Il y a cependant une limite à ce syncrétisme : dans le cas d’une opération purement française, le juge ne peut pas écarter une condition non conforme à la directive s’il est obligé de constater qu’elle est expressément stipulée ; alors qu’il l’écarterait si l’opération était située dans le champ de la directive. Le Conseil d’État est, semble-t-il, déterminé à refuser au droit de l’Union toute invocabilité d’exclusion dans des situations n’entrant pas dans le champ de ce dernier. Il ne saurait aller plus loin sans provoquer un transfert de souveraineté fiscale de la France vers l’Union, et le risque de discrimination à rebours doit être à notre avis assumé.

Mais ce refus s’étendra-t-il à l’invocabilité de la Charte dans ces situations ? Certains, tel Marc Pelletier, estiment qu’il est difficile d’admettre que l’application volontaire par le législateur national de la directive fusions aux situations domestiques puisse être regardée comme une mise en œuvre du droit de l’Union. Cependant, le souci que le Conseil d’État a manifesté d’éviter – dans toute la limite du possible – d’avoir à appliquer dans une situation interne une règle qui serait écartée dans une situation transfrontalière militerait pour que le respect de la Charte soit au moins reconnu comme un objectif, dans l’esprit de la jurisprudence Technicolor.

Compte tenu de l’essor du champ d’invocation de la Charte, le juge du Palais-Royal et celui du plateau du Kirchberg seront amenés à se demander si le choix du législateur d’appliquer les prescriptions d’une directive aux situations domestiques peut être regardé comme une mise en œuvre du droit de l’Union, ce qui rendrait applicable la Charte à une opération hexagonale. L’excellente formule « À texte unique, interprétation unique » consacrée par le président Olivier Fouquet pourrait devenir « À texte unique, garanties identiques ».

D. Aux règles de sanctions administratives et pénales nationales

On a vu que la confrontation d’une réglementation nationale à l’une des libertés de circulation garantie par le Traité FUE relève du champ d’application du droit de l’Union et, par conséquent, du champ de la Charte des droits fondamentaux, suivant la ligne de raisonnement dégagée dans l’arrêt de principe ERT de 1991. Mais avec l’arrêt Akerberg Fransson, rendu en grande chambre, ce n’est pas seulement le fond de cette réglementation nationale qui passe sous les fourches caudines européennes : c’est aussi la procédure répressive nationale. Les principes de fond appellent des garanties processuelles.

À l’origine de l’arrêt se trouve un ressortissant suédois, sanctionné fiscalement par l’Administration pour de fausses déclarations de TVA et faisant l’objet parallèlement d’une procédure pénale sur les mêmes faits. Le requérant ayant soulevé le principe ne bis in idem, le juge suédois a interrogé la Cour de justice pour déterminer si cette procédure pénale violait l’article 50 de la Charte garantissant le droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction. Ce n’est pas la portée du principe qui nous intéresse ici, mais le raisonnement suivi par la Cour pour retenir sa compétence. La difficulté résultait de ce que les textes appliqués dans le cadre de la procédure pénale étaient des dispositions internes qui n’avaient nullement pour objet de transposer le droit de l’Union. La mise en œuvre du droit de l’Union par l’État membre, condition nécessaire à l’application de la Charte, n’apparaissait dès lors pas remplie.

La Cour a cependant relevé que la procédure pénale engagée visait à sanctionner une fraude à la TVA, que la TVA obéit à un régime commun et – circonstance aggravante – que la fraude à la TVA porte atteinte aux intérêts financiers de l’Union. De ce fait, les sanctions fiscales et les poursuites pénales pour fraude fiscale constituent une mise en œuvre de la directive TVA, et donc du droit de l’Union au sens de l’article 51 de la Charte.

La Cour en déduit, assez audacieusement, que toutes les règles de la procédure pénale nationale sont susceptibles d’être appréciées au regard de la Charte. Il importe peu alors que la législation qui sert de base à la sanction n’ait pas été adoptée en vue de transposer la directive en cause, écrit la Cour : « Le fait que les réglementations nationales qui servent de fondement auxdites sanctions fiscales et poursuites pénales n’aient pas été adoptées pour transposer la directive 2006/112 ne saurait être de nature à remettre en cause cette conclusion, dès lors que leur application tend à sanctionner une violation des dispositions de ladite directive et vise donc à mettre en œuvre l’obligation imposée par le traité aux États membres de sanctionner de manière effective les comportements attentatoires aux intérêts financiers de l’Union. »

De même, une sanction pécuniaire qui vise à garantir le respect d’une directive constitue la mise en œuvre de la directive, quand bien même cette sanction n’est pas expressément prévue par cette dernière. Ceci a été jugé tout d’abord à propos de sanctions infligées en raison du non-respect de l’obligation de publicité des documents comptables prévue par la onzième directive de droit des sociétés. La Cour relève que si la directive confie aux États le soin d’adopter les sanctions appropriées, « Toutefois, ladite directive ne comporte pas de règles plus précises en ce qui concerne l’établissement desdites sanctions nationales ». Alors que les règles d’astreintes et de recours contre les sanctions en cas de non-dépôt des comptes annuels étaient purement nationales, la Cour juge nonobstant que, dès lors que ces sanctions constituent une mise en œuvre du droit de l’Union, les garanties procédurales de la Charte sont applicables. Elle examine en conséquence les griefs dirigés contre la procédure nationale en prenant appui sur les stipulations de la Charte : interdiction de présenter de nouveaux moyens au stade de l’appel, absence de garantie de la tenue d’une audience, violation des droits de la défense résultant de l’impossibilité de présenter des observations avant l’astreinte, présomption légale de responsabilité ; l’examen de la Cour s’étend jusqu’aux délais de forclusion applicables au cours de ces procédures. C’est tout un pan du droit pénal national qui est passé au crible de la Charte.

Cette jurisprudence a fortement attiré l’attention des commentateurs lorsqu’elle a été systématisée à propos des sanctions en matière d’assistance administrative internationale menée conformément aux directives intervenues depuis 2011, désignées sous l’acronyme DAC (directive on administrative cooperation). La CJUE s’est prononcée à deux reprises, par ses arrêts Berlioz et Luxembourg c/ L., en faveur des droits des administrés concernés par des demandes d’assistance administrative internationale, en leur reconnaissant le droit aux garanties processuelles de la Charte. Au Luxembourg, lorsque l’Administration des contributions directes reçoit une demande d’assistance administrative qui nécessite de recueillir des informations auprès d’une société luxembourgeoise (par exemple sur la « substance » dont elle dispose ou sur ses relations avec une société mère ou filiale française), elle adresse à cette société une injonction de fournir ces renseignements, sous peine d’une sanction financière assez lourde. La Cour de justice a jugé que cette société, si elle entend contester cette sanction financière, a le droit de faire entendre sa cause de manière équitable devant le tribunal luxembourgeois en mobilisant les garanties processuelles que comporte la Charte (notamment le droit d’accès au dossier pour vérifier la validité de la demande d’assistance administrative). Pourtant, cette sanction financière instituée par la volonté propre du législateur luxembourgeois n’est nullement prévue par la directive.

Il est permis de supputer que dans un cas de figure équivalent en France, où l’administration fiscale ne dispose pas d’un dispositif d’injonction et de sanction spécifique, la société se verrait sans doute infliger la sanction prévue en matière de droit de communication : dans ce cas la société française, ayant fait l’objet de la sanction pour défaut de réponse au droit de communication, pourrait sans doute exercer son droit à un recours effectif devant le juge et invoquer les garanties de procédure dont la Cour a fait application dans son arrêt Berlioz.

Ainsi les clefs d’entrée dans la Charte pourraient se multiplier, mais le contribuable y trouvera-t-il des garanties vraiment nouvelles ?

II. La Charte, un doublon inutile de la CEDH ?

Parmi les dispositions de la Charte, on peut envisager que le juge fasse notamment application des articles suivants : le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial garanti par l’article 47 ; le droit à la présomption d’innocence et les droits de la défense, garantis par l’article 48 ; le droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction, garanti par l’article 50.

Un observateur inattentif pourrait être tenté de penser, avec un léger haussement d’épaules, que ces garanties ne sont pas différentes en substance de celles déjà reconnues depuis des décennies par la Convention EDH, à laquelle d’ailleurs la Charte fait référence. On sait que les droits consacrés par la Convention font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux et que, dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à ceux garantis par la Convention EDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite Convention. C’est pourquoi la Cour de justice de l’Union européenne, pour les droits homothétiques de l’article 6 de la Convention EDH, prend en considération leur interprétation par la Cour européenne des droits de l’homme, considérée comme constituant un seuil de protection minimale.

La Charte serait-elle une belle inutile, n’apportant rien que la Convention européenne des droits de l’homme n’offre déjà ? Nullement, car elle permet l’application au contentieux fiscal de droits que la CEDH refuse de lui appliquer depuis son arrêt Ferrazini, par lequel elle a cédé aux sollicitations de certains États lui demandant d’abandonner le contribuable à la merci de son législateur national.

Depuis que par son arrêt Bendenoun la Cour, comme prise de remord, a atténué cet abandon en jugeant que les garanties de l’article 6 de la Convention sont en revanche applicables en matière de pénalités fiscales, il est devenu acrobatique de refuser ces mêmes garanties à la contestation des droits au principal, étant donnée l’imbrication du contentieux des pénalités et de l’assiette. Arrêtée au milieu du gué, la jurisprudence accorde le droit au procès équitable pour les pénalités mais non pour les droits, alors que le plus souvent les droits et les pénalités procèdent d’une procédure unique : ainsi le juge pourrait être amené à prononcer la décharge d’une pénalité établie selon un procès inéquitable, tout en maintenant les droits établis au cours du même procès.

Grâce à la Charte, les droits fondamentaux dont s’inspire l’article 6 de la Convention EDH, font un retentissant retour en droit fiscal. Ce coup de pied à la jurisprudence Ferrazini procède d’une volonté délibérée des auteurs de la Charte, comme le souligne le commentaire officiel de la Charte publié par le Praesidum : « l’article 47, paragraphes 2 et 3, correspond à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, mais la limitation aux contestations sur des droits et obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale ne joue pas en ce qui concerne le droit de l’Union et sa mise en œuvre. »

C’est tout simplement le retour du bon sens : on conçoit mal que l’exigence d’un procès équitable s’impose entre un créancier et son débiteur mais non entre l’Administration et le contribuable, alors que le Trésor Public n’est pas un créancier débonnaire. Ce n’est pas sans raison que, initialement, la Cour de cassation avait soumis sans hésitation, sur le ton de la tranquille évidence, l’entièreté du contentieux fiscal, y compris celui des droits, sans omettre celui du recouvrement, aux prescriptions de l’article 6, § 1 de la Convention. Elle n’y a renoncé que vingt plus tard, après avoir même résisté pendant un premier temps à l’arrêt Ferrazzini de la CEDH, comme le souligne le doyen Hatoux.

En revanche, le contentieux du recouvrement restera globalement étranger aux garanties de la Charte, de même qu’il est réfractaire à l’article 6, § 1 de la Convention EDH, du moins aux yeux du Conseil d’État, car la Cour de cassation a semblé admettre son application, du moins avant le triste arrêt Ferrazzini. On voit mal, en effet, dans quelles circonstances un recouvrement pourrait mettre en œuvre le droit de l’Union, si ce n’est en matière de recouvrement transfrontalier sur le fondement de la directive 2010/24/UE du 16 mars 2010 concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement, transposée aux articles L. 283 A à L. 283 F du LPF.

A. Le droit à une bonne administration

Davantage que l’article 6, § 1 de la CEDH, la Charte est riche d’applications en contentieux fiscal du fait qu’elle met davantage l’accent sur les procédures administratives, alors que l’article 6, § 1 est axé sur les procédures contentieuses, et n’est mobilisable en matière de procédures précontentieuses que par ricochet. À ce titre, la Charte apporte des solutions favorables au bon déroulement des redressements fiscaux.

Tel est l’apport appréciable du « Droit à une bonne Administration » prévu à l’article 41 de la Charte. Ce droit comporte plusieurs droits spécifiques : a) le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; b) le droit d’accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires ; c) l’obligation pour l’Administration de motiver ses décisions.

Le champ d’application de l’article 41 de la Charte a donné lieu à une jurisprudence subtile de la Cour. Par son libellé même, cet article ne s’applique qu’aux institutions, organes et organismes de l’Union, et non aux États membres. Cependant, la Cour décide que le principe lui-même, indépendamment de sa « reprise » à l’article 41 de la Charte, est tout autant applicable aux États. En effet, si cet article ne vise expressément que les institutions de l’Union, la CJUE impose la même exigence aux États, jugeant que l’article 41 de la Charte reflète un principe général du droit de l’Union, antérieur à la Charte et s’adressant aux États lorsqu’ils mettent en œuvre ce droit. Le Conseil d’État a constaté à son tour que l’article 41 de la Charte s’adresse exclusivement aux institutions de l’Union et jugé que le moyen tiré de sa violation par une autorité d’un État membre est inopérant, même s’il lui est arrivé de donner l’impression d’admettre l’invocation de l’article 41 dans un arrêt publié au Lebon. Mais il ne refuse pas d’appliquer ce droit… s’il est invoqué en tant que principe général du droit de l’Union. Mieux vaut donc ne pas se tromper de fondement.

Il n’est ainsi plus matériellement exact de dire que le principe de bonne administration ne s’appliquerait qu’aux institutions de l’Union : la Cour a pratiquement gommé cette restriction en réécrivant l’article 41 à la lumière des principes généraux du droit. Les États sont logés à la même enseigne que les institutions. Se trouve ainsi exaucé le souhait formulé par Jean-Marc Sauvé que soit privilégiée une « conception unitaire de la Charte », telle que l’ont défendue plusieurs Avocats généraux à la CJUE.

B. La Charte permet-elle la « meyerisation » de la procédure fiscale ?

Le droit à une bonne administration vient renforcer les garanties du contribuable telles qu’elles résultent en France du LPF et de la Charte du contribuable vérifié. On peut se demander si certaines solutions dues à la « meyerisation » de la procédure fiscale restent compatibles avec la conception exigeante que se fait la Cour d’une bonne administration. On sait que selon la jurisprudence Meyer, bien des irrégularités demeurent sans conséquence si aux yeux du juge l’irrégularité n’a pas pu avoir d’influence sur la décision de redressement. Au sein même de la juridiction administrative, il a été souligné que les juges sont « pénétrés par l’impératif de “ meyerisation ” ». Des doutes ont été émis sur cet impératif, car la meyerisation postule que dans les affaires où la procédure n’a pas été respectée, le juge est à même de pouvoir affirmer que l’imposition n’eût pas été différente si le contrôle avait été mené de façon régulière, et prédire rétrospectivement que le respect des règles n’aurait rien apporté à la qualité du redressement ni rien changé à la décision finale du service. Cette supposition traduit un doute profond envers la véritable utilité des procédures administratives que le législateur s’est donné (un peu inutilement) la peine d’organiser dans le LPF.

Au regard de la jurisprudence de la CJUE, dans le sillage de l’arrêt Glencore, une approche aussi dévalorisante de la procédure administrative pourrait ne pas être en phase avec le droit à une bonne administration et le droit à un procès équitable qui se rejoignent ici. Les implications de la jurisprudence Glencore ont été parfaitement résumées par Laurent Cyterman dans ses conclusions sur l’affaire SCI Péronne : « La CJUE considère que la non-communication du dossier à l’intéressé au cours de la procédure administrative ne peut être réparée par une communication intervenant durant la phase juridictionnelle (arrêt Glencore précité, § 52), car selon ses termes, « la prise de connaissance tardive de certains documents du dossier ne replace pas l’entreprise (…) dans la situation qui aurait été la sienne si elle avait pu s’appuyer sur les mêmes documents pour présenter ses observations écrites et orales devant l’administration » (CJUE, 25 octobre 2011, Grande chambre, Solvay SA c/ Commission européenne, C-110/10 P). Dès lors, il est cohérent que la méconnaissance des droits de la défense au cours de la procédure administrative soit regardée comme une atteinte au droit à un procès équitable. »

Il se pourrait que la meyerisation du contentieux fiscal s’arrête au seuil du droit de l’Union.

C. La Charte est-elle compatible avec la technique de la substitution de base légale devant le juge ?

De même, il est permis de se demander si le droit à une bonne administration, et son corollaire exigeant qu’une personne soit entendue avant qu’une mesure défavorable ne soit prise à son encontre, ne fait pas obstacle à la technique de la substitution de base légale devant le juge, puisque, selon la Charte, c’est dès le stade de la procédure administrative que ce droit s’impose.

En effet, une substitution de base légale a pour effet de confirmer une imposition au moyen d’un fondement légal qui n’a fait l’objet d’aucun débat au cours de la procédure administrative de redressement, et donc de priver le contribuable du droit à une bonne administration. La jurisprudence admet assez largement les substitutions de base légale qui lui sont demandées par l’Administration, estimant que le débat contradictoire qui doit avoir lieu normalement au cours de la procédure d’établissement de l’impôt est alors remplacé par les garanties de la procédure contradictoire devant le juge, qui seraient équivalentes. Comme le formule pourtant Marc Pelletier, l’argument tiré de l’équivalence des garanties offertes par la procédure juridictionnelle par rapport à la procédure administrative « implique une remise en cause de la rationalité du législateur : si, en substance, la procédure juridictionnelle offre au contribuable une protection équivalente de ses droits, pourquoi le législateur a-t-il estimé devoir assortir la phase administrative d’un certain nombre de garanties ? ».

Le juge est censé refuser la substitution de base légale lorsque le contribuable a été privé d’une garantie de procédure : il affirme rituellement que cette substitution ne peut être demandée par le service que si la procédure correspondant au nouveau fondement légal a été respectée. Mais, de fait, la seule garantie de procédure qu’il accepte de retenir comme faisant obstacle à cette substitution, est le droit de saisir une commission, dont aurait disposé le contribuable si la proposition de rectification avait été fondée sur le véritable fondement, découvert tardivement devant le juge. En dehors du cas, donc, où le nouveau fondement légal aurait permis au contribuable de saisir la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires ou le comité de l’abus de droit fiscal, le juge postule que la substitution de base légale ne porte pas atteinte au respect des droits de la défense.

Pourtant cette technique de rattrapage, offerte à une administration pour sauver un redressement à la recherche de son fondement, méconnaît la toute première garantie de la procédure, à savoir la motivation des propositions de rectification, exigée par l’article L. 57 du LPF, ainsi que le principe du contradictoire au cours de la procédure administrative, avant que ne soit adoptée la décision d’imposition.

Au contribuable qui proteste contre la violation du contradictoire, le juge répond qu’il n’a pas été privé de la possibilité de se défendre équitablement, puisqu’il peut contester ce nouveau fondement, de manière contradictoire, dans le cadre de la procédure contentieuse devant la juridiction. Ce raisonnement méconnaît le fait que la bonne administration de l’impôt exige un double niveau de débat, d’abord au cours de la phase administrative et ensuite au cours de la phase juridictionnelle ; ces deux stades n’ont pas les mêmes caractéristiques et ne sont pas substituables l’un à l’autre. En tout état de cause, la Cour de Luxembourg ne semble pas admettre que la procédure menée devant le juge puisse avoir pour effet de replacer le contribuable dans la situation qui aurait été la sienne si les droits de la défense avaient été respectés devant l’Administration.

Peut-être le Conseil d’État sera-t-il donc conduit à écarter les demandes de substitution de base légale que lui présente l’Administration lorsque le litige met en œuvre le droit de l’Union. Il rejoindra alors la jurisprudence du juge fiscal judiciaire, qui de son côté n’a pas attendu la Charte pour juger qu’une substitution de base légale n’est possible qu’à l’intérieur du délai de reprise, au moyen d’une nouvelle proposition de rectification, ce qui mettrait sa jurisprudence en harmonie avec les exigences des articles 41 et 47 de la Charte.

Remarquons pour conclure que le droit mentionné à l’article 41 devrait en principe avoir son domaine propre, celui de la procédure administrative, distinct de celui de l’article 47, qui est celui de la procédure juridictionnelle. Mais l’arrêt Glencore précité, en faisant remonter le principe des droits de la défense au stade de la procédure administrative, et en visant exclusivement l’article 47, là où on aurait plutôt attendu le droit à une bonne administration, rend cette frontière poreuse. En définitive, ce sont ici les vénérables principes généraux du droit de l’Union, le principe de bonne administration et celui des droits de la défense, qui guident le juge européen. La Cour de Luxembourg semble dire aux auteurs de la Charte : croyez-vous que je vous aie attendus pour savoir comment garantir les droits fondamentaux ?

L’extension du champ d’application de la Charte ouvre des perspectives qu’on peut qualifier – au sens propre – de renversantes. À l’heure où la procédure fiscale semble la mal-aimée du législateur et du juge fiscal français, le balancier pourrait repartir dans le sens des droits du contribuable. D’après la sagesse de l’ancienne Perse, que rapporte Ibn Al Muquaffa dans son fameux traité Adab al-Kabır sur la conduite des hommes, il y a trois choses qui présentent beaucoup de difficultés et de dangers, ce sont la compagnie du sultan, le commerce maritime, et se protéger du fisc. Les choses ont bien changé depuis, puisque de nos jours les mêmes sages placeraient sans doute la difficulté de se protéger d’un redressement fiscal bien avant celle de tenir compagnie au sultan…

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