On observe que les textes instituant le bouclier fiscal classent l’ISF parmi les impôts directs. Sait-on que telle est depuis l’origine la vraie nature de cet impôt ? Cela emporte, selon nous, certaines conséquences.
Au frontispice du CGI apparaît la règle suivant laquelle les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 50 % de ses revenus (article premier). Dans l’énumération des impôts dont le montant global est ainsi cantonné, figure l’ISF (CGI, art. 1649-0A). Il s’agit donc d’un impôt direct. Cette qualification est-elle une commodité conçue en 2005 pour couler l’ISF dans le moule du bouclier fiscal ou correspond-elle à la nature profonde de l’impôt?
1.1 Rappel des caractéristiques de l’ISF
L’ISF frappe annuellement la valeur nette du patrimoine du déclarant suivant un barème progressif. Il est assis et ses bases d’imposition déclarées selon les mêmes règles et sous les mêmes sanctions que les droits de succession. Par son mode de calcul (pourcentage de la valeur du patrimoine) et son régime (celui des droits d’enregistrement), l’ISF est très éloigné des impositions assises sur les revenus. Mais il a en commun avec l’impôt sur le revenu son annualité et sa détermination dans le cadre du foyer fiscal.
1.2 L’analyse du Conseil constitutionnel
Dès la création en 1981 de l’IGF – impôt abrogé en 1986 et des cendres duquel a surgi l’ISF en 1989 – le Conseil constitutionnel a classé l’impôt sur le patrimoine dans le camp des impositions frappant le revenu.
Il l’a fait en réponse aux critiques adressées au législateur pour avoir institué l’imposition groupée des couples, système de nature à les pénaliser par rapport aux personnes vivant seules, et attribué l’imposition des biens démembrés à l’usufruitier. Le Conseil a justifié ces choix par le considérant que voici (81-133 DC, 30 décembre 1981) :
« En instituant un impôt sur les grandes fortunes, le législateur a entendu frapper la capacité contributive que confère la détention d’un ensemble de biens et qui résulte des revenus en espèces et en nature procurés périodiquement par ces biens, qu’ils soient ou non soumis par ailleurs à l’impôt sur le revenu ; en effet, en raison de son taux et de son caractère annuel, l’impôt sur les grandes fortunes est appelé normalement à être acquitté sur les revenus des biens imposables « .
Le Conseil a réitéré lorsqu’on a déféré devant lui la disposition de loi de finances pour 1999 qui tendait à soumettre à l’impôt pour leur valeur en pleine propriété des biens dont le contribuable nu-propriétaire ne tire aucun revenu : « L’impôt de solidarité sur la fortune a pour objet de frapper la capacité contributive que confère la détention d’un ensemble de biens et qui résulte des revenus en espèces ou en nature procurés par ces biens ; en effet, … suite sans changement » (98-405 DC, 29 décembre 1998).
Etait ainsi clairement énoncé le lien entre l’imposition du patrimoine et l’existence des revenus tirés de sa détention. On ne peut pas plus nettement exprimer que l’ISF est un mode d’imposition particulier des revenus.
2.1 Portée ordinairement attribuée au principe constitutionnel
On s’est jusqu’à présent efforcé de minimiser la portée de ce principe en faisant valoir que le Conseil avait à prendre parti sur une question relative à la fixation de l’assiette de l’impôt et non à celle du quantum de l’impôt. Etant donné qu’il leur appartenait seulement de définir qui, du nu-propriétaire ou de l’usufruitier, doit supporter la charge de l’impôt, les décisions rendues ne sauraient être interprétées :
– ni comme établissant un lien entre la production d’un revenu par un bien et l’inclusion de ce bien dans l’assiette de l’ISF ;
– ni comme établissant un lien entre le montant du revenu produit par le patrimoine taxable et celui de l’ISF à acquitter à raison de la détention de ce patrimoine.
La première impossibilité est aujourd’hui solidement étayée par la jurisprudence de la Cour de cassation suivant laquelle on ne saurait écarter l’imposition d’un bien (immeuble ou titre) détenu en pleine propriété au motif que celui-ci n’est pas productif d’un revenu.
2.2. L’ISF ne saurait excéder les revenus produits par le patrimoine qu’il frappe
Autant les auteurs avaient été nombreux et diserts au soutien de la soustraction à l’impôt des biens non frugifères, autant est restée discrète la promotion de l’idée d’un plafonnement en fonction des revenus globalement retirés du patrimoine soumis à l’ISF.
D’éminents constitutionnalistes ont, il est vrai, souligné que le Conseil constitutionnel n’a pas pu vouloir assumer toutes les conséquences du principe posé. Pour l’un d’entre eux, son énoncé a constitué une simple habileté destinée à sauver l’impôt d’un autre grief majeur d’inconstitutionnalité : l’imposition groupée des conjoints. Pour un autre, aucune conséquence pratique ne peut être tirée de l’énoncé d’un principe insusceptible d’extension aux autres variétés d’impôts sur le patrimoine (droits de succession en particulier).
Nous figurons parmi ceux qui croient que la partie n’est pas jouée (1).
Il est de fait que le Conseil n’a chaque fois été interrogé que sur l’application d’une règle d’assiette. Les auteurs de la saisine de 1981 reprochaient au législateur d’avoir fait peser l’imposition sur l’usufruitier. Les auteurs de celle de 1998 lui faisaient grief d’avoir prévu dans certaines situations l’imposition du nu-propriétaire. Mais l’élément prépondérant de la décision rendue par deux fois dans le même sens sur cette question d’assiette n’est pas la conclusion finale. Il se trouve dans l’énonciation préalable des critères qui fondent la faculté contributive à savoir les revenus que procurent à leur détenteur les biens assujettis à l’ISF, cette analyse s’expliquant par la circonstance que, en raison de son taux et de son caractère annuel, l’impôt est appelé normalement à être acquitté sur les revenus des biens imposables.
La règle d’assiette définie en réponse aux saisines se trouve ainsi déduite d’une analyse générale qui attribue en réalité à l’impôt sur le patrimoine le caractère d’une imposition sur les revenus de celui-ci, comme telle insusceptible d’absorber davantage que le montant desdits revenus.
Cette conclusion résiste au cas où la valeur du patrimoine s’est maintenue, voire accrue, d’un 1er janvier au 1er janvier suivant. Dans le fil du raisonnement, l’ISF est confiscatoire s’il reprend au redevable plus que les revenus de son patrimoine taxable, quand bien même des facteurs conjoncturels en auraient accru la valeur.
3.3. L’avènement du bouclier fiscal prive-t-elle la discussion de son intérêt ?
Il est vrai que grâce à l’actuel bouclier fiscal, l’ISF ne peut aujourd’hui s’ajouter aux autres impôts directs que dans la mesure où la charge fiscale totale pesant sur les revenus n’excède pas 50% des revenus de l’intéressé. Mais, du fait de la prise en compte des revenus de toute source, cette règle ne prémunit pas l’ensemble des contribuables contre une charge d’ISF supérieure aux revenus du patrimoine imposable.
Le plafonnement fixé par l’article 885-V bis du CGI limite, en principe, l’ISF à 85 % des revenus. Mais cette limitation prend en compte elle aussi les revenus de toute source et, à l’égard des patrimoines d’une certaine importance, s’efface au profit d’une règle qui maintient à la charge du redevable la moitié de l’ISF résultant du barème. L’exigence constitutionnelle n’est donc pas pleinement satisfaite en dépit de la protection du bouclier fiscal. Que dire pour les années d’imposition antérieures à son entrée en application ?
Suite à une décision de leur Cour constitutionnelle du 22 juin 1995, les Allemands ont renoncé à leur impôt sur la fortune face à la difficulté de mise en œuvre des deux principes suivants :
1 – Cet impôt doit être calculé de telle sorte que, additionné avec d’autres impôts, il laisse intacte la substance du patrimoine et puisse être acquitté grâce aux revenus qui peuvent habituellement en être retirés. S’il en allait autrement, l’impôt sur la fortune conduirait à une confiscation progressive et imposerait le contribuable de façon exorbitante. Voilà qui rappelle la décision de notre propre Conseil, lue comme nous la voyons.
2 – L’impôt sur la fortune ne peut s’ajouter aux autres impôts que dans la mesure où la charge fiscale totale pesant sur les revenus ne dépasse pas la moitié des revenus. Notre bouclier fiscal met fidèlement en œuvre ce principe.
Ces deux principes, bien sûr indissociables, n’empêchent nullement à l’ISF de conserver sa place. Que les juges veuillent bien reconnaître la force du premier et nous pourrons enfin compter sur une application sereine de cette imposition dans le cadre restreint qui lui est normalement dévolu, celui d’un calcul proportionné aux revenus produits par la détention du capital.
Source : Option Finance du 4 mai 2009
(1) Voir FR Francis Lefebvre 17/05 p. 34 le point de vue de Nicole Courrech du Pont et de Jean-Yves Mercier
Pour neutraliser les effets de l’inflation sur l’impôt sur le revenu (IR), le gouvernement a récemment annoncé qu’il réévaluera les seuils de chaque tranche d’IR de 4,8% en 2024. Il présente cette mesure comme un cadeau aux contribuables dont le coût serait de l’ordre de 5 à 6 milliards.
2024 marque un sérieux changement dans le calcul de l’IFI dû sur les :tres de sociétés détenant à la fois des ac:fs immobiliers et des ac:fs financiers. L’IFI portait ini:alement sur la frac:on de la valeur des :tres correspondant à la part des ac:fs immobiliers dans l’ac:f total.
Les règles de détermination de la valeur imposable à l’impôt sur la fortune immobilière des parts ou actions de sociétés détenant des actifs immobiliers sont substantiellement modifiées. Désormais, par principe, le passif de la société ne pourra plus être pris en compte pour l’évaluation des titres sociaux, sauf lorsqu’il est afférent à des actifs imposables.
Le Monde organise une toute nouvelle édition des Rencontres de l’Épargne le 12 Décembre prochain
Philippe Bruneau, Président du Cercle des Fiscalistes, interviendra lors de cette conférence tenue à Nice qui sera également disponible en Live.