Le prélèvement à la source risque de sonner le glas de la fiscalité incitative

Publié le 13/09/2018

Article paru dans « le Monde » le 13/09/2018

L’avocat fiscaliste Jérôme Turot explique dans une tribune au « Monde » que la réforme du prélèvement à la source va nuire à la capacité des contribuables de décider eux-mêmes de l’utilisation d’une partie de leurs impôts.

En France, l’impôt est intelligent. Notre système fiscal français tant décrié — souvent à tort— a une immense qualité : nous avons en matière d’impôt sur le revenu une tradition de fiscalité incitative, offrant de nombreuses possibilités de réductions fiscales et de crédits d’impôt.

Ce système de déductions fiscales favorise une fiscalité intelligente et démocratique.
Intelligente, puisqu’elle incite les citoyens à se montrer socialement utiles (crédits d’impôt en faveur de la famille), écologiquement responsables (crédits d’impôt pour la transition énergétique), investisseurs intrépides (logement social, outre-mer, jeunes entreprises), et philanthropes
(associations et fondations).
C’est surtout une fiscalité démocratique, puisqu’elle permet au contribuable de décider lui-même de l’utilisation d’une partie de son impôt. Ainsi, le contribuable qui estime que l’Etat n’aide pas suffisamment la recherche contre le cancer ou la défense de la langue occitane peut le faire à sa place, en y affectant une partie de son impôt par un don à une fondation ou à une association : on permet aux contribuables de décider directement des dépenses publiques à la place de l’Etat.

La capacité pour les contribuables de dédier leur impôt à un but utile, altruiste ou tout simplement familial, sera-t-elle préservée ? Dans l’immédiat, les crédits d’impôt sont sauvegardés, puisqu’on nous annonce que les contribuables obtiendront, le 15 janvier 2019, le versement anticipé de 60 %du montant des crédits d’impôt auxquels ils ont eu droit en 2018.

Une mesure de circonstance

Mais le versement de cet acompte n’est pas inscrit dans notre droit fiscal, ce n’est qu’une mesure de

circonstance ; il est douteux qu’elle soit reconduite en 2020 et au-delà, car cet acompte sera extrêmement coûteux en trésorerie pour l’Etat, et posera de difficiles problèmes de gestion.

Tout d’abord, on voit mal comment l’administration pourrait verser en janvier d’une année (2019 pour commencer) un acompte calculé sur le montant des crédits d’impôt de l’année antérieure (2018), alors qu’elle ne connaît que les crédits d’impôt de l’avant-dernière année. Ce n’est qu’en mai ou juin 2019 que les contribuables déposeront leur déclaration des revenus de l’année 2018 indiquant leurs dons aux œuvres, leurs emplois familiaux et autres dépenses ouvrant droit à réduction.

En janvier 2019, Bercy n’aura pas reçu les déclarations de revenus de l’année de 2018. L’acompte que l’Etat versera en janvier 2019 ne pourra donc être calculé que sur les derniers crédits d’impôt connus, à savoir ceux de l’année 2017. Il faudra régulariser cet acompte à l’automne 2020.
Le slogan du gouvernement selon lequel le prélèvement à la source permet d’ajuster automatiquement l’impôt à l’évolution du revenu est illusoire pour les contribuables qui ont droit à des déductions fiscales. Pour eux, le décalage s’accroît plutôt entre l’impôt et la réalité.

 

Un décalage de trésorerie

Ceux qui auront réalisé davantage de dons ou de dépenses ouvrant droit à

crédit d’impôt en 2019 qu’en 2017 subiront un décalage de trésorerie ; à
l’inverse, ceux qui auront donné ou investi moins devront rendre au
percepteur une partie de l’acompte de crédit d’impôt qu’ils auront reçu dix-huit mois auparavant.

La communication gouvernementale les encourage à dépenser cet acompte afin de soutenir la consommation. Ce serait dépenser une simple avance éventuellement remboursable. Bien des particuliers sont déjà surendettés vis-à-vis des établissements de crédit, ils se retrouveront en outre endettés vis-à-vis de l’Etat. Nombre de contribuables ne seront pas en mesure de rembourser l’acompte : les procédures de recouvrement forcé qu’engageront les percepteurs ne feront rien pour améliorer la popularité du prélèvement à la source.

Ce n’est pourtant pas l’inquiétude la plus grave que suscite cette réforme : elle risque de sonner le glas de la fiscalité incitative. Car rembourser de l’impôt est beaucoup plus difficile, voire douloureux, pour le fisc que renoncer à en recevoir. Dans le système fiscal français traditionnel de réductions d’impôt, le contribuable avait droit à une réduction de l’impôt à payer ; à l’avenir, il aura le droit de réclamer une restitution — ce qui ne revient au même que de l’avis de ceux qui n’ont jamais eu à réclamer une restitution d’impôt.

Jusqu’à présent, les services fiscaux ne contrôlaient qu’une petite proportion des déductions effectuées par les contribuables dans leur déclaration de revenus, de façon généralement aléatoire, par une demande de justification des déductions effectuées.

La gestion des crédits d’impôt à problèmes

Demain, en revanche, avant de faire un chèque de remboursement de crédits d’impôt, le contrôleur devra vérifier chaque dossier : un agent public ne peut pas payer une somme sans vérifier que l’Etat la doit, et il est de son devoir d’exercer pour cela un méfiant contrôle. Les délais de remboursement s’en ressentiront, et les contribuables seront moins certains, au moment de faire un chèque à une association ou à une start-up, de récupérer la déduction fiscale correspondante.

D’ici à 2020 ou à 2021, un rapport de la Cour des comptes ou du Conseil des prélèvements libératoires exposera les ratés de l’impôt à la source. Ce ne sont pas les problèmes de gestion des prélèvements qui viendront en tête contrairement à ce qu’on craint aujourd’hui (les entreprises sauront vite les gérer, après avoir subi bien des dépenses, bien des ratés et par conséquent bien des pénalités) : ce sont les problèmes de gestion des crédits d’impôt.

On constatera d’une part la difficulté pour l’Etat de se faire rembourser les acomptes de crédits d’impôt dans le cas où l’acompte s’est révélé supérieur aux crédits d’impôt, et d’autre part la lenteur et la lourdeur des procédures de versement des compléments de crédits d’impôt dans le cas où, au contraire, le contribuable a droit au versement d’un complément.

Assez vite, des experts expliqueront qu’un système d’impôt à la source n’est pratiquement pas compatible avec une multiplicité de réductions d’impôt sur le revenu (qu’ils appelleront niches fiscales, puisque c’est l’expression qu’emploient les adversaires d’une fiscalité démocratique). Et ils auront techniquement raison, car de fait, les pays qui pratiquent l’impôt à la source sont des pays dans lesquels l’Etat préfère décider seul de l’affectation des impôts, c’est-à-dire des pays qui n’accordent pas ou guère de réductions d’impôt.

Pas de réductions au Danemark

On se rappellera alors que le Danemark, dont l’exemple a été donné rituellement par les partisans de l’impôt à la source pendant les débats ayant entouré en 2016 le vote de cette réforme, est un pays où la fiscalité est basique, sans finalité incitative, et uniquement orientée sur la maximisation du rendement. Il n’existe pas de réductions d’impôt, ni d’ailleurs de quotient familial.
Au Danemark, l’impôt est définitivement réglé à la source, et le contribuable n’entend normalement plus parler d’impôt : on ne lui demande pas de remplir de déclaration de revenus, à moins qu’il dispose d’autres revenus que ceux qui font l’objet d’un prélèvement à la source. Il n’est pas question pour l’Etat de rendre de l’impôt, ni encore moins de verser un acompte sur des restitutions de crédits d’impôt qui n’existent pas. C’est pourquoi le prélèvement de l’impôt à la source n’y pose pas de difficultés.
C’est probablement dans cette voie que chercheront à nous diriger certains, et en tête la Cour des comptes et le Conseil des prélèvements obligatoires, qui ont toujours été partisans d’une réduction de ce qu’ils appellent des niches fiscales, et qui ont prescrit et obtenu des « coups de rabot » visant particulièrement les réductions d’impôt des particuliers.
Plus question alors de laisser les citoyens décider d’affecter un peu de leur impôt à une association ou à des investissements d’intérêt général : l’Etat sait mieux que le contribuable ce qu’il faut faire de son impôt.
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