Les vrais perdants du projet Hollande

Publié le 2/02/2012

Le projet fiscal du candidat Socialiste n’épargnerait ni les PME, ni les salariés, ni les commerçants, selon une étude du Cercle des fiscalistes, qui regroupe les meilleurs fiscalistes français.

Le Figaro s’est associé avec le Cercle des fiscalistes, un cercle de réflexion- « Thinktank » – qui regroupe les meilleurs spécialistes français de la fiscalité, de tous bords politiques, pour analyser les conséquences pratiques des principales propositions du PS. L’objectif consiste à expliquer ce qui pourrait changer pour les contribuables, à anticiper leurs conséquences économiques et à pousser, in fine, le candidat PS à clarifier les points de son programme s’agissant de certaines réformes trop peu précises pour être analysées.

« Le débat n’est pas de savoir s’il y aura plus d’impôt, mais de savoir qui les paiera» .En présentant son programme économique, il y a exactement une semaine, le candidat du parti socialiste François Hollande a joué carte sur table. Hier, au micro de RTL, il a persisté : « Quel que soit le président élu au mois de mai, il y aura une augmentation des prélèvements ». Dans son programme prévoyant un retour à l’équilibre des finances publiques à la fin du quinquennat, le PS annonce une hausse des taux de prélèvement obligatoire de 1,8 point sur cinq ans, pour les faire passer de 45,1 % du PIB aujourd’hui à 46,9 % en 2017. Une hausse sous deux formes : d’abord, 29,1 milliards de recettes nouvelles devront être trouvées dans les dix huit prochains mois pour faire baisser le déficit public à 3 % du PIB fin 2013, comme promis à nos partenaires européens.

Cet effort sera supporté à hauteur de 11,8 milliards d’euros par les ménages et à 17,3 milliards par les entreprises. Pour financer, parallèle ment, les20 milliards d’euros de son programme, le PS prévoit des recettes équivalentes, dont les trois quart environ sont supportées par les contribuables et le reste – 4,5 milliards – consistent en des économies de dépense publique. Au final c’est donc un choc fiscal de pratiquement 45 milliards d’euros qui est promis aux entreprises et aux ménages. Le Parti Socialiste l’assure : ce redressement des comptes publics se fera « dans la justice ». Seuls seront touchés les grosses entreprises et les contribuables les plus aisés, promet François Hollande. Dans le détail, pourtant, cette « justice » touche bien plus de monde que ne l’admet le PS. Et les PME ne seront pas autant épargnées qu’on le dit.
Quelques exemples le démontrent. François Hollande propose par exemple de limiter les avantages sociaux de l’épargne salariale pour en retirer 2,6 milliards d’euros. Si ce seront effectivement les entreprises qui paieront ce surcroît de charges, la mesure concernera tout de même indirectement près de 12 millions de salariés qui bénéficient aujourd’hui d’un système d’intéressement, de participation ou de plan d’entreprise. De même, les indépendants verront leur régime de protection social « partiellement aligné » sur le régime général, moins avantageux. Le PS, qui escompte 1,7milliards de recettes de cette réforme, n’en détaille pas les modalités précises. Mais elle pourrait se traduire par un alourdissement des charges pour les travailleurs indépendants, parmi lesquels on retrouve principalement des commerçants ou des artisans. Pas spécialement les contribuables les plus aisés de France…
Les heures supplémentaires imposées
La lutte contre les niches fiscales masque elle aussi quelques mesures grand public. L’équipe de François Hollande compte retirer 300 millions d’euros de recettes du plafonnement à 10 000 euros des déductions d’impôt qu’il sera possible d’obtenir grâce aux niches sur l’impôt sur le revenu. Mais à côté, il table sur 1milliard de recettes en réduisant spécifiquement trois avantages : le régime des impatriés, les frais professionnels ainsi que les emplois à domicile.
Une niche dont profitent 2,2 millions de foyers fiscaux qui peuvent déduire aujourd’hui de leurs impôts 50% des salaires versés et qui, avec le PS, pourraient voir cet avantage se réduire à 40 %. Enfin, le démantèlement des avantages liés aux heures supplémentaires pénalisera le pouvoir d’achat des 9 millions de salariés qui en effectuent. Parmi eux, on trouve de nombreux ouvriers et… des professeurs. Si François Hollande est élu, les Français payeront à nouveau de l’impôt sur le revenu sur leurs heures sup. Et leur employeur ne sera plus exonéré de charges sociales. Pour le reste, les hauts revenus seront clairement mis à contribution. Outre un retour en arrière sur la réforme de l’ISF, le PS veut nettement durcir la fiscalité des successions en exonérant de droits les successions jusqu’à 100 000 euros par enfant tous les 15ans contre 159000euros par enfant tous les dix ans aujourd’hui. Une mesure à 1,6milliards d’euros.
Ménages

Un ISF nettement alourdi
Le projet Hollande prévoit de revenir intégralement sur la réforme de l’imposition sur la fortune décidée l’an dernier par le gouvernement. À une nuance près. Le seuil d’entrée ne sera pas revu à la baisse : ne paieront l’ISF que les foyers ayant un patrimoine supérieur à 1,3 million d’euros. Mais ils s’en acquitteront sur la base des anciens taux et – surtout – ils seront taxés sur leur patrimoine au-dessus de 800 000 euros contre un plancher de 1,3 million jusqu’à présent. Par cette mesure, le PS évite de faire retomber sous le régime de l’ISF les personnes aux revenus modestes possédant un bien immobilier ayant pris de la valeur, par exemple. François Hollande chiffre à 2 milliards d’euros les recettes supplémentaires de cette réforme. Un chiffre très exagéré, selon le cercle des fiscalistes : « Il faut tenir compte des délocalisations fiscales que ce retour ne manquera pas de relancer », prévient Philippe Bruneau, président du Cercle des fiscalistes. En outre, l’entourage de François Hollande escompte 300 millions d’euros de recette de l’accélération de la suppression du bouclier fiscal. Cette somme constitue le reliquat encore dû par le fisc aux contribuables concernés. Si son annulation était décidée, « cela poserait un sérieux problème constitutionnel », prévient Philippe Bruneau, car « cela reviendrait à supprimer une créance que détiennent certains contribuables sur l’État français ». Chose impossible « sauf raison impérieuse d’intérêt général », indiquent les fiscalistes.

Ménages
Une tranche d’IR à 45%

François Hollande veut alourdir l’impôt sur le revenu des Français les plus aisés. Aujourd’hui, le taux maximal de l’Ir est de 41% Il s’applique aux revenus par part qui dépassent 70 830 euros par an. Le projet PS prévoit de créer un taux à 45%, frappant les revenus par part supérieurs à 150000 euros. 60000 à 80000 ménages seraient pénalisés par cette mesure, d’après le Cercle des fiscalistes. En outre, 25 000 foyers très aisés (ceux dont les membres gagnent plus de 250000 euros par personne) s’acquittent depuis cette année d’une contribution sur les hauts revenus, créée par l’actuel gouvernement et fixée à 3% ou 4% de leurs revenus. Au total donc, ils pourraient voir leur taux d’imposition grimper à 48% ou 49%. Au Royaume-Uni, le taux maximal est de 50% en Allemagne de 45%.

Entreprises
Plus de taxe pour les PME
La réforme de la taxe professionnelle (TP) en 2009 a allégé la fiscalité des entreprises de 6,8 milliards d’euros par an, d’après un rapport parlementaire. Les finances publiques en ont été grevées d’autant. C’est trop pour le PS, qui estime que la réforme n’a pas été ciblée et a indûment bénéficié à des secteurs, comme les services, qui ne sont pas exposés à la concurrence internationale. Le candidat socialiste propose donc de revoir la copie. Seul hic : de nombreuses PME seront pénalisées. La TP a été remplacée par deux impôts, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la cotisation foncière des entreprises (CFE).Lors de la réforme, le gouvernement a voulu que les PME bénéficient d’une CVAE réduite. Les entreprises réalisant plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel payent une CVAE égale à 1,5% de leur valeur ajoutée, tandis que celles sous les 50 millions ont, elles, un taux de CVAE allant de 0,01% à 1,49%. Le PS veut supprimer ces taux réduits. Conséquence : la CVAE payée annuellement par les PME augmenterait de 3.3 milliards. Selon les simulations du Cercle des fiscalistes, une société ayant un chiffre d’affaires de 1 million et une valeur ajoutée de 800 000 euros verrait sa CVAE passer de 800 euros aujourd’hui à 12000 euros avec le projet socialiste. La facture passerait de 12000 à 36 000 euros pour une société faisant 3 millions de chiffre d’affaires et 2.4 millions de valeur ajoutée. Néanmoins, François Hollande propose également de réduire la fiscalité des entreprises industrielles de 2,5 milliards. Ces dernières bénéficieront d’un allégement de CFE, pour les investissements nouveaux. De quoi éviter de pénaliser les PME industrielles. En revanche, les PME de service seront bel et bien à la peine.

 

Entreprises
Moins de financement pour les entreprises

Le PS veut que les avantages fiscaux soutiennent l’investissement « réel», pas les acquisitions financières. Actuellement, une entreprise qui s’endette déduit de son résultat imposable les intérêts de l’emprunt réduisant ainsi son IS. François Hollande veut que cette déductibilité des intérêts ne soit plus possible (ou limitée à 5%) lorsqu’une entreprise emprunte pour en racheter une autre. La déductibilité serait maintenue si le prêt sert à acquérir des machines. Pour le Cercle des fiscalistes, le financement des PME va pâtir de cette mesure. En particulier, les rachats d’entreprise par LBO. Rachats qui portent souvent sur des entreprises en difficulté, seront moins avantageux. Lors d’un LBO, un holding est créé. Celui-ci s’endette pour racheter la société cible. Les intérêts de la dette réduisent année après année le résultat imposable du groupe ainsi formé, ce qui permet de rembourser en partie l’acquisition. Le projet PS mettrait à mal cet équilibre. « Par ailleurs, les sociétés seront désavantagées dans la compétition pour le rachat d’entreprises par rapport à leurs concurrentes étrangères qui n’auront pas ces contraintes fiscales», souligne Jean-Yves Mercier, membre du Cercle des fiscalistes. En Allemagne et aux États-Unis, un tel système de déduction existe en effet. Pour le Cercle, « les sociétés françaises pourraient devenir la cible des investisseurs établis dans ces États», Le think-tank doute aussi des recettes de la mesure (4 milliards), puisque les entreprises pourraient s’adapter en rachetant leurs homologues par échange d’actions.

Ménages
Le capital taxé comme le travail

Taxer les revenus du travail au même niveau que les revenus du capital? Cette proposition taraude la droite comme la gauche depuis plusieurs mois, Dans son programme, François Hollande propose d’intégrer tous les revenus du capital aux revenus du travail et de soumettre l’ensemble au barème actuel de l’impôt sur le revenu. Le PS escompte près de 4,5 milliards d’euros de recettes de cette réforme. «Le pays le plus socialiste au monde l’Angleterre- taxe le travail comme le capital et même Barack Obama l’envisage», ironise-t-on dans le camp Hollande. Cet alignement serait en fait favorable aux petits épargnants. Aujourd’hui, les plus-values immobilières et mobilières (actions, obligations) ont un taux de taxation particulier, de19%. Les dividendes sont eux taxés à 21% (si le contribuable opte pour cette taxation forfaitaire), et les intérêts des obligations, à 24%. Le projet PS prévoit la disparition de ces taux d’imposition forfaitaires sur le patrimoine. Les ménages qui sont soumis à un taux d’impôt sur le revenu de 5,5% ou14% gagneraient: leur Epargne serait aussi imposée à 5,5% ou 14%. En revanche, les ménages imposés 30% ou 41% y perdraient. Pour eux, la taxation pourrait atteindre des niveaux records. Compte tenu des prélèvements sociaux additionnels, pour le moment fixés à13,5% et qui vont être relevés à 15,5%.suite aux annonces de Nicolas Sarkozy, « Le taux effectif d’imposition Supporté par les contribuables concernés sur tes intérêts qu’ils encaissent pourrait être de 45,5% ou de 56,5% selon leur tranche d’imposition», calcule Jean-Yves Mercier, membre du Cercle des fiscalistes.

« Le Cercle des fiscalistes regroupe notaires, banquiers, avocats, professeurs de droit et d’économie. Dans le cadre de la campagne 2012, ils décryptent, pour « le Figaro », les projets fiscaux des principaux candidats»

Source : Article paru dans « LE FIGARO ECONOMIE » du 02/02/2012


Article rédigé par Philippe Bruneau et Jean-Yves Mercier

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