Modernisation de la fiscalité : finis les rêves, parlons chiffres !

Publié le 22/06/2012

TRIBUNE-Bernard Monassier. Le vice-président du Cercle des fiscalistes conteste les marges de manœuvre évoquées par la majorité pour alourdir notre fiscalité.

La situation économique, financière de la France est préoccupante. D’aucuns n’hésiteraient pas à sonner le tocsin. Quel remède à cette situation? Pour la majorité gouvernementale et, notamment, Mme Aubry, le salut ne peut provenir que de la mise en place d’impôts complémentaires rendus possibles grâce « aux énormes marges de manœuvres » existant dans notre système fiscal. De telles déclarations relèvent-elles de l’incantation ou reposent-elles sur des réalités ?

Faisons une observation préliminaire : le taux des prélèvements obligatoires, en France, en 2010, selon Eurostaf, s’élèverait à 42,5 % de notre PIB, soit 6,9 points de plus que la moyenne européenne ! Face à ce premier constat, on voit mal les marges de manœuvre de l’entreprise « France » si on ne veut pas tuer la compétitivité de nos entreprises. Quittons le domaine macroéconomique, pour vérifier si des ajustements ne seraient pas possibles. voire nécessaires dans certains types d’imposition.

Commentons par un coup de projecteur sur notre fiscalité du patrimoine, présentée par certains comme un véritable éden. Une remarque s’impose : notre pays est le seul d’Europe où coexistent autant d’impôts sur le capital : droits de mutation à titre gratuit, à titre onéreux, impôt foncier, taxation des plus-values en capital, impôt sur la fortune. Cette accumulation d’impôts conduit inévitablement à une surcharge « pondérable » : en 2010, selon l’OCDE, ce type d’imposition représentait presque 4 % de notre PIB, contre 0,9 % en Allemagne !

Laissons un instant de côté ces comparaisons et regardons dans le détail une imposition politiquement phare : les droits de succession. Et là, effroi à ce jour, l’abattement dans le domaine des successions et donations entre parents et enfants s’élève à 159 325 euros contre 500 000 euros en Allemagne, et le taux marginal d’imposition s’élève en France à 45 % à partir de 1 807 077 euros contre 30 % en Allemagne à partir de 26 000 000 euros ! Marge de manœuvre, avez-vous dit ?

Etudions maintenant la taxation des revenus. Selon M. Piketty, éminent économiste, proche du Parti socialiste, la France devrait être classée, dans ce domaine, dans la catégorie des paradis fiscaux. Cette affirmation, au fil des publications, est devenue un véritable postulat. La quasi-totalité des médias semblent le confirmer en publiant de magnifiques graphiques faisant apparaître que le taux marginal d’imposition en France, en 2012, serait de 41 % contre, par exemple, 45 % en Allemagne et 50 % en Angleterre. Quant à nos concitoyens les plus aisés, ils seront déboussolés au vu de leur feuille d’imposition qui leur affichera des taux supérieurs. Quelle explication donner à ces visions différentes d’un même problème ? Pour les revenus perçus en 2011, le taux marginal d’imposition sera de 45 % et non de 41 % auquel il faudra ajouter les prélèvements sociaux, imposition inconnue chez nos voisins européens, au taux de 8 à 15,5 % selon le type de revenus. En clair, cela signifie qu’avant toute augmentation décidée par la nouvelle majorité, nos compatriotes supporteront, cette année, un prélèvement obligatoire compris entre 53 et 60 %.

Nous sommes loin des 41 % annoncés par différents commentateurs.

La Suède, championne du monde des prélèvements fiscaux, ne taxe au taux marginal qu’à 56 % ! Marge de manœuvre, avez-vous dit? Certainement pas en augmentant les prélèvements sur le revenu, sauf à mettre en place des prélèvements quasi confiscatoires, historiques, inconnus chez tous nos concurrents.

Allons cependant dans le détail de notre Code général des impôts pour vérifier s’il n’existe pas quelques marges de manœuvre au sein des différentes catégories du revenu. Aux dires de certains thuriféraires des idéaux socialistes, c’est là que se situent les réformes possibles, voire souhaitables. Il suffirait de mettre fin aux inégalités de traitement fiscal, réservé aux revenus du capital par rapport aux revenus du travail. Malheureusement. pour ses idéologues, les faits sont têtus : il résulte d’une étude réalisée par l’Observatoire français des conjonctures économiques que les revenus du travail supporteraient un prélèvement maximal de 57 % contre 67,3 % pour les revenus financiers et 64,6 % pour les revenus de capitaux immobiliers ! Alors, marge de manœuvre, certainement pas dans l’imposition des revenus.

Qu’est-il de l’imposition de nos entreprises créatrices de richesse et d’emplois ? Selon la Cour des comptes dont l’impartialité n’est pas soupçonnable, nos entreprises supporteraient, toute imposition confondue, un prélèvement sur les bénéfices de 42 % contre 29 % pour leurs concurrents allemands ! Alors, marge de manœuvre, avez-vous dit ? Certainement pas dans ce type d’imposition, sauf à multiplier la fermeture d’entreprises, augmenter le nombre de chômeurs et, corrélativement, diminuer les ressources de l’État. Il existe un troisième type d’imposition, l’impôt saur la consommation, c’est-à-dire la TVA dont le taux, sauf exception, est de 19,6 %,.en France. Et surprise, surprise : 20 pays sur 27 pays au sein de l’Union européenne connaissent un taux moyen supérieur au nôtre. Voilà, enfin, les fameuses marges de manœuvre évoquées par Mme Aubry.

Le précédent gouvernement l’avait compris et avait décidé une certaine augmentation à partir du 1er octobre 2012. Comprendra qui pourra, la nouvelle majorité a décidé d’abroger cette augmentation, la seule possible au regard des comparaisons internationales ! Ce bref panorama de notre système fiscal n’invite pas à l’optimisme.

Les augmentations nécessaires des revenus de l’État paraissent quasi impossibles, sauf à entraver la compétitivité de nos entreprises, inciter à la fraude, décourager les plus entreprenants, inviter à l’exil fiscal les plus aisés de nos compatriotes.

Et pourtant, quelle que soit la majorité politique en place, le redressement financier de notre pays passe par un effort considérable de l’ensemble des contribuables. Nos concitoyens en ont conscience. Ils sont prêts à l’accepter. Mais cette nécessaire réforme fiscale ne sera acceptée par ce peuple frondeur, volontiers poujadiste, habitué aux jacqueries fiscales, qu’à certaines conditions.

Pour parodier Ludwig Erhard, père du miracle économique allemand, il faut d’abord arrêter de traiter la fiscalité sous un angle idéologique. Enfin, cette adhésion ne sera possible que si nos compatriotes ont conscience que l’État réduit de façon drastique son train de vie, comme le lui demande la Commission de Bruxelles, la Cour des comptes, l’Inspection des finances. En effet, c’est là que se situent les véritables marges de manœuvre. Nos dépenses publiques représentent 56,6 %, de notre PIB, contre 47,8 % en Allemagne. Il est difficile de diminuer les ressources des fonctions régaliennes de l’État (armée, police, justice), Aussi, c’est l’État-providence qui doit réduire sa voilure. Faisons un rêve, que les socialistes français, comme les socialistes allemands, il y a quelques années, au nom de la raison d’État, rangent leur idéologie dans les placards de l’histoire et proposent au peuple français une révolution copernicienne de notre système fiscal et corrélativement de l’État-providence.

La droite a réussi la décolonisation. Pourquoi la gauche ne pourrait-elle pas réussir la modernisation historique de notre fiscalité ?

Source: Article paru dans « Le Figaro » du 22/06/2012

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