Pour un pragmatisme fiscal

Publié le 31/05/2012

 Halte au feu ! La campagne qui vient de se terminer a vécu au rythme des annonces fiscales dans une escalade qui semblait ne jamais avoir de fin. Cette séquence aura une nouvelle fois vérifié le constat selon lequel la créativité française en la matière est illimitée.

Pour justifier ce déferlement, les candidats ont puisé dans un registre qui ne doit rien à la raison. Ainsi, interrogé sur sa proposition d’introduction d’une tranche super-marginale d’imposition à 75% pour les revenus supérieurs à un million d’euros, celui qui n’était pas encore notre Président a reconnu qu’elle ne générerait aucune recette et que le bénéfice qu’il en attendait relevait uniquement du « symbole ». Pire dans un débat plus ancien avec un économiste, il avait admis qu’une telle mesure aurait un effet négatif puisqu’elle provoquerait des délocalisations et donc une perte sèche. A en juger par les sollicitations de clients qui, depuis cette annonce, se pressent dans nos cabinets, force est de constater que cette analyse était parfaitement pertinente ! Plus encore, ce projet aggraverait la baisse de l’attractivité de notre territoire pour les étrangers qui se trouveraient ainsi dissuadés d’apporter leurs capitaux et leur consommation à notre pays.

Cette déclaration n’est, hélas, que l’expression caricaturale de la dérive d’une campagne qui a eu le tort de regarder la matière fiscale comme un champ de bataille idéologique. Notre Constitution, pourtant, offre en son article 13 une définition purement téléologique de la fiscalité: « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Une telle rédaction postule nécessairement que l’objectif prioritaire auquel toute politique fiscale doit répondre est celui de l’efficacité.

Or, dans le contexte d’une économie ouverte marquée par la concurrence fiscale entre Etats comme par l’objectif d’intégration européenne, cette efficacité est nécessairement le fruit d’un compromis technique objectif et non la mise en œuvre d’un catéchisme « sociétal ».

A rebours de cet impératif d’efficacité, le débat sur la fiscalité est l’otage d’une bulle idéologique entretenue autour du présupposé d’une société immorale et injuste qui aurait échafaudé un système de taxation favorable aux possédants. A titre d’exemple, l’antienne complaisamment diffusée selon laquelle les revenus du capital seraient moins ponctionnés que ceux du travail est un mythe !

Cette logique a conduit à échafauder des projets de réforme telle que la taxation des plus-values de cession de titres au taux progressif de l’impôt sur le revenu ou la taxation des expatriés. Le premier provoquerait des stratégies d’évitement, tendant à privilégier les distributions régulières de profits aux actionnaires défavorisant le réinvestissement au sein des entreprises et donc la compétitivité.

Le second est voué à l’inefficacité sauf à entrer dans un processus de renégociation des Traités, exercice long et assorti de contreparties qui rendent le bénéfice attendu aléatoire.

La seule issue réaliste est la convergence européenne. Il appartient à nos dirigeants de tirer avantage d’un moment unique dans la construction européenne où l’accroissement de la recette fiscale est aujourd’hui un objectif commun des Etats Membres alors même que le dumping fiscal est partout attaqué par les opinions publiques. Saisissons cette opportunité pour mettre à l’ordre du jour de l’Union un objectif d’harmonisation de la fiscalité des particuliers, une sorte de « serpent fiscal » qui, sans opérer une uniformisation irréaliste, limiterait les écarts en établissant un rapprochement des assiettes fiscales, un certain encadrement des taux et la prohibition générale des mécanismes de dumping.

Nous sommes convaincus qu’une telle convergence aurait, sur les recettes fiscales françaises, un impact plus favorable que les mesures excessives qui ont été proposées dans la campagne. Mieux, elle mettrait enfin la matière fiscale à l’abri des assauts démagogiques qui, quasi-systématiquement, aboutissent aux résultats exactement inverses des objectifs de « justice » qu’ils disent poursuivre.

A défaut d’une politique fiscale raisonnable, les avocats fiscalistes sont en mesure d’écrire, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, qu’ils seront les seuls bénéficiaires de la guerre fiscale que la campagne a semblé vouloir ourdir.

Source: Article paru dans « le Figaro » du 31 Mai 2012

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