Appréciation de la tolérance légale du vingtième dans les groupes intégrés

Publié le 5/07/2010

Le Conseil d’Etat vient de fixer les conditions dans lesquelles un groupe est en droit de se prévaloir de la tolérance légale du vingtième pour échapper à l’intérêt de retard sur les rectifications apportées aux résultats de ses filiales déficitaires. C’est l’occasion de passer en revue les ressorts de ce mécanisme.

1. Rappel des règles applicables en dehors de l’intégration

La loi prévoit (CGI, art. 1727 II 4) que le rehaussement des bases d’imposition d’une société soumise à l’IS peut, eu égard à sa faible importance relative, ne pas entraîner l’application de l’intérêt de retard au rappel de l’impôt en principal. Cette disposition – dite tolérance légale du vingtième – joue dans le cas où l’insuffisance relevée par les vérificateurs ne résulte pas d’un manquement délibéré et reste inférieure au vingtième de la base d’imposition rectifiée.

Si un résultat déclaré de 1000 est porté à 1040, la tolérance prémunit la société contre l’application de l’intérêt de retard, l’insuffisance – 40 – représentant moins de 5% de la base rectifiée (40 / 1040 = 3,85%).

Les rehaussements pratiqués sur un résultat déficitaire se confrontent à cette mesure de tolérance dans les conditions que voici :

1er cas : Au déficit déclaré est substitué un bénéfice. La tolérance ne joue pas étant donné que l’insuffisance est alors toujours, par hypothèse, supérieure à la base rectifiée.

2ème cas : Le déficit déclaré est simplement réduit. En pareil cas, de deux choses l’une :

– Ou bien le déficit était resté inutilisé lors de la notification (non contestée) établie par le vérificateur et il ne saurait alors être question d’un rappel d’imposition ni a fortiori d’un quelconque intérêt de retard.

– Ou bien le déficit a déjà été utilisé en tout ou partie par voie de report sur le bénéfice d’un exercice postérieur à celui de sa constatation . Le traitement de ce cas se dédouble à nouveau.

Si le déficit utilisé n’est pas supérieur à son montant valide, l’imputation opérée l’a été à bon droit et aucun intérêt de retard ne pourra surgir plus tard de l’érosion que le contrôle a fait subir au déficit déclaré dès lors que la société a abandonné la prétention de s’en prévaloir. Mais si le déficit utilisé est supérieur à son montant valide, une insuffisance de déclaration apparaît au titre de l’exercice (ou des exercices) à l’issue duquel (ou desquels) la société a utilisé la fraction du déficit dont la réalité est remise en cause.

On doit alors raisonner conformément à l’exemple suivant : En n, la société a déclaré un déficit de 100 que le vérificateur ramène à 40. La société, dont le résultat fiscal propre à l’exercice n+1 était de 1300, avait entièrement imputé ce déficit de 100 sur son résultat de 1300 dont le montant imposable s’était ainsi limité à 1200. La rectification entraîne le rehaussement à 1260 de ce résultat. L’insuffisance constatée en n est de 60/1260 (4,76%) et se tient donc dans la limite de la tolérance du vingtième grâce à laquelle l’intérêt de retard est évité.

2. L’application dans les groupes intégrés

Une disposition (CGI, art. 1727 II 4 dernier alinéa) précise qu’ « en cas de rectifications apportées aux résultats des sociétés appartenant à des groupes mentionnés à l’article 223 A du CGI, l’insuffisance des chiffres déclarés s’apprécie pour chaque société ».
Cette formule sobre est censée fournir la clé des multiples questions que soulève, dans un groupe intégré, l’imbrication d’une multiplicité de résultats et de potentielles insuffisances à effet instantané ou différé.

2-1 Rehaussement du résultat bénéficiaire d’une société membre

On pourrait croire que la question se résout simplement sur la base d’une considération unique : le rehaussement fait-il ou non apparaître chez la société concernée une insuffisance se tenant dans la limite du vingtième ?

Il est vrai que dans l’affirmative (voir notre premier exemple d’un résultat de 1000 porté seulement à 1040), le groupe est radicalement épargné par l’intérêt de retard du seul fait de la modicité de l’insuffisance commise par la société vérifiée.

Mais, à l’inverse, une insuffisance individuelle de plus du vingtième peut n’avoir provoqué instantanément aucune lésion du Trésor : cas où, pour l’exercice de constatation du déficit remis en cause, le résultat d’ensemble était lui-même déficitaire et l’est demeuré après rehaussement. Dans cette situation, une véritable insuffisance ne sera susceptible d’apparaître qu’une fois épuisé le report du déficit d’ensemble de l’exercice considéré et, s’il y a lieu, de ceux qui l’encadrent. C’est à ce moment seulement que naîtra le décompte de l’intérêt de retard afférent à l’insuffisance commise, intérêt auquel la disposition particulière rappelée ci-dessus confère une totale automaticité du fait du franchissement de la limite de 5%.

2-2 Rehaussement du résultat déficitaire d’une société membre

1er cas : Au déficit déclaré par la société membre est substitué un bénéfice.

Comme c’est le cas pour une société imposable distinctement, l’application de la tolérance est rendue impossible du fait que l’insuffisance excède la base rectifiée de la société auteur de l’insuffisance.

Mais pour peu que l’insuffisance ne provoque pas instantanément la lésion du Trésor, le résultat d’ensemble de l’exercice restant déficitaire après remise en cause du déficit individuel, le groupe va se trouver placé plus tard (après report du déficit contesté) dans la situation que nous venons d’examiner d’une insuffisance de plus du vingtième affectant un résultat bénéficiaire : pas de tolérance.

2ème cas : Le déficit déclaré est simplement réduit.

Un âpre débat est né à propos du traitement des rectifications de ce type. Certains groupes ont fait valoir, à juste titre, que la société membre dont le déficit est simplement écrêté ne doit pas être traitée plus sévèrement que si elle était demeurée un contribuable distinct, situation dans laquelle, on vient de  le voir, l’intérêt de retard ne prend cours, s’il y a lieu, qu’à compter de l’exercice d’imputation du déficit et sur la base d’un calcul d’insuffisance procédant de la comparaison entre le montant du déficit effacé par le vérificateur et celui du résultat rectifié de l’exercice considéré.

Mais cette thèse négligeait le fait que, dans l’intégration, tout déficit individuel est susceptible de trouver immédiatement son emploi du fait de sa compensation instantanée avec les bénéfices des autres sociétés membres dans le cadre de la détermination du résultat d’ensemble du groupe.

Cette particularité a conduit la CAA de Paris  puis, tout récemment, le Conseil d’Etat  à retenir pour règle que l’insuffisance se mesure alors par rapport à la base d’imposition rectifiée du groupe pour l’exercice même de constatation de l’insuffisance.

Soit un groupe uniquement formé d’une mère et de sa fille dont les résultats individuels s’établissent respectivement à +200 et à -70. La vérification de la filiale ramène le déficit de celle-ci à -50. Le résultat d’ensemble, qui était à l’origine de 130 (200-70), se trouve porté à 150 (200-50). Le groupe n’échappera pas à l’intérêt de retard car l’insuffisance représente 20/150, soit 13,33% de la base rectifiée.

La règle jurisprudentielle nous paraît devoir être comprise comme signifiant que dans le cas où le groupe comprend plusieurs filiales déficitaires qui font chacune l’objet d’une rectification réductrice de leurs déficits respectifs, on devra mesurer séparément les insuffisances commises par chacune. La tolérance jouera au titre de chaque rehaussement individuel représentant moins d’un vingtième du résultat d’ensemble corrigé de l’ensemble des rectifications. Ainsi, et c’est bien normal, les rectifications individuelles les plus fortes contribueront à élargir le champ de la tolérance invocable au titre des plus modestes. En raison même de ce mode de calcul, il pourra aussi arriver qu’un intérêt de retard légitimement appliqué suite à l’amputation du déficit d’une filiale perde sa justification du fait du rehaussement appliqué aux bases d’une autre ou de plusieurs autres filiales au titre du même exercice. L’appréciation de la marge est donc sujette à fluctuations.

Tout ce que nous venons de voir ne concerne évidement que les groupes dont le résultat d’ensemble était déjà positif pour l’exercice considéré avant la remise en cause du déficit de la ou des sociétés membres concernées ou l’est devenu sous l’effet de cette remise en cause. Pour un groupe demeurant titulaire d’un déficit d’ensemble après les rectifications opérées, l’analyse serait reportée sur le premier exercice d’imputation du déficit (la société a-t-elle imputé plus ou moins que son déficit valide ?) et, au besoin, sur les suivants.

3. Dernières observations

On retiendra de l’examen de cet ensemble de solutions que les vérifications entraînant l’écrêtement du déficit accusé par une société membre créent des insuffisances dont la gravité ne correspond pas au poids du manquement personnellement commis par la société redressée. On ne saurait s’en offusquer car, dans l’intégration, le préjudice subi par le Trésor s’apprécie de façon particulière.
Peut-il en être de même lorsqu’il s’agit d’apprécier la base de calcul de la pénalité de 40% qui serait appliquée dans la même situation en cas manquement délibéré ? La question est délicate. Le juge aura probablement aussi un jour le soin de la trancher.
Source : Article paru dans « Option Finance » 5 juillet 2010


Article rédigé par Jean-Yves Mercier, Avocat associé, CMS Bureau Francis Lefebvre

 

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