Malgré la chute de son résultat net en 2024, LVMH (actionnaire de Challenges) est resté tout aussi généreux avec ses actionnaires, en maintenant le dividende à 13 euros par action. Une largesse qui va d’abord profiter au PDG, Bernard Arnault, et à sa famille, qui détiennent près de 48 % du capital à travers les holdings Agache SCA, Financière Agache ou Christian Dior. Montant encaissé : 3,1 milliards d’euros.
Chez Hermès, le grand rival, les actionnaires familiaux empocheront une somme inférieure, à 1,8 milliard, mais avec un dividende qui explose, doublant par rapport à 2022, à 26 euros par action, un record. Le géant de la cosmétique L’Oréal va lui aussi choyer ses premiers actionnaires, Françoise Bettencourt Meyers et sa famille, qui encaisseront un chèque de 1,3 milliard, alimentant les caisses de Téthys, entité qui gère leur patrimoine.
Difficile à croire, mais ces grandes fortunes ne vont pas payer un euro d’impôt sur leurs milliards de dividendes. L’explication : elles ne se les distribuent pas mais les thésaurisent dans leurs sociétés familiales, devenues de gigantesques coffres-forts.
« Nous avons révélé l’ampleur des revenus qui n’apparaissent pas sur leurs feuilles d’impôts car ils sont logés dans leurs holdings », souligne Laurent Bach, professeur de finances à l’Essec, l’un des auteurs de l’étude de l’Institut des politiques publiques sur le sujet. En 2023, cette enquête choc avait montré que la France est un paradis fiscal pour milliardaires, en constatant que les 75 foyers les plus fortunés ne paient que 26 % d’impôts, alors que ce taux atteint encore 46 % au seuil des 0,1 % des plus riches.
« Notre système est régressif, martèle l’économiste Gabriel Zucman, professeur à l’université de Berkeley, en Californie. Les Français paient en moyenne la moitié de leurs revenus en impôts et cotisations. Pour les ultrariches, c’est deux fois moins grâce à leur optimisation fiscale. »
Pourtant, ce cadeau aux plus fortunés n’existe pas partout. Aux États-Unis, temple du libéralisme, les fonds logés dans les holdings sont taxés à 20 %… depuis 1934. « Les autorités américaines avaient alors identifié la technique des grandes fortunes pour éviter l’impôt, relève Zucman. Résultat, dans ce pays où le taux d’impôts sur le revenu est bien plus faible qu’en Europe, cette taxe a dissuadé l’utilisation de ce véhicule. »
À l’inverse, en Europe, nous avons commis une erreur dramatique, accuse l’économiste. Dans l’organisation du marché unique, l’Union européenne a institué un régime très souple des holdings pour faciliter la création de sociétés dans différents pays. Et elle a proscrit la taxation des dividendes versés par une filiale à sa société mère. Une logique économique souvent détournée fiscalement.
Double jackpot, même. Après avoir évité l’impôt sur leurs plantureux dividendes, les ultrariches peuvent aussi éluder les taxes sur ces fonds accumulés lors de l’héritage. Leur secret : le pacte Dutreil, leur niche fiscale préférée.
« Sur les droits de succession, l’optimisation est massive, critique Laurent Bach, qui planche sur le sujet depuis longtemps. Les holdings liés au pacte Dutreil constituent de véritables tirelires défiscalisées. Elles permettent aux grandes fortunes de transmettre à leurs héritiers leurs dividendes accumulés sans jamais payer d’impôts ou presque. »
À cette niche s’ajoute un mécanisme hyperavantageux : l’effacement des plus-values latentes. Les ultrariches peuvent transmettre leur patrimoine sans payer d’impôts sur des plus-values colossales, qui disparaissent au moment de la succession, comme l’a détaillé le financier Guillaume Hannezo dans une étude du think tank Terra Nova.
Concrètement, si l’héritier vend un bien familial, la valeur prise en compte pour calculer la plus-value est celle à la date de la succession et non de l’achat du bien par ses parents. « En Allemagne et en Europe du Nord, la dette fiscale liée à la plus-value latente est transférée aux héritiers. À charge pour eux de la payer lorsqu’ils vendent ces actifs », relève Hannezo, déplorant que ce gros cadeau aux milliardaires reste sous les radars médiatiques.
Alors, que faire pour rétablir de l’équité fiscale ? D’abord raboter ces dispositifs généreux sur l’héritage. En septembre, la Cour des comptes va sortir un rapport sur la niche Dutreil qui devrait pointer ses abus et son coût exorbitant – plus de 4 milliards d’euros, selon Les Échos, alors que Bercy le chiffrait à 800 millions. Et sur l’effacement des plus-values latentes, Guillaume Hannezo a calculé que l’État pourrait récupérer 4 autres milliards par an.
Reste la question clé : faut-il taxer les milliards logés dans ces holdings coffres-forts ? Beaucoup d’experts craignent des effets pervers. « Ce serait une dangereuse usine à gaz, avertit Philippe Bruneau, président du Cercle des fiscalistes. Le holding est le modèle de détention privilégié par nos entreprises, y compris les PME et les ETI. Il faudrait donc établir des critères pour cibler les plus grosses sociétés ou celles qui thésaurisent trop. C’est infaisable. »
En outre, une telle taxe serait contraire à notre droit fiscal, relèvent ses détracteurs. « C’est un principe intangible : on paie des impôts sur ce que l’on reçoit. Pas sur ce que l’on ne reçoit pas », a lancé, au Sommet de l’économie de Challenges, Jean-Jacques Guiony, directeur financier de LVMH, pour lequel les dividendes placés dans ces sociétés ne constituent pas un revenu.
Face à une telle complexité, Gabriel Zucman et ses partisans préconisent de changer leur fusil d’épaule et de créer un nouvel impôt sur la fortune (ISF) version XXL. « Mieux vaut taxer la fortune accumulée, avec un message clair aux plus riches : “Quoi que vous fassiez pour éviter l’impôt, vous devrez payer un taux minimal” », avance ce chercheur engagé. D’où sa mesure choc de taxer de 2 % par an les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, portée par un texte écologiste voté à l’Assemblée mais rejeté au Sénat.
Un projet critiqué pour son côté confiscatoire. Appliqué à toute la fortune, y compris professionnelle, cet ISF absorberait le rendement des actifs des milliardaires. Exemple concret : pour Bernard Arnault et sa famille, cette taxe représenterait 2,3 milliards d’euros, soit 74 % des dividendes perçus cette année. Chez L’Oréal, la facture de la famille Bettencourt atteindrait 1,4 milliard, soit 107 % des dividendes. Quant aux membres de la famille Hermès, ils devraient verser 3,2 milliards au fisc, soit 1,4 milliard de plus que leur rétribution en tant qu’actionnaires.
« Ce n’est pas un impôt minimal, c’est un impôt maximal, supérieur au revenu net des milliardaires sur leur patrimoine, dénonce Jean-Jacques Guiony. Donc, il est payé par le capital. C’est une forme d’expropriation. »
De toute façon, pour les opposants au projet, le Conseil constitutionnel ne laisserait pas faire. « Lorsque l’impôt est supérieur aux deux tiers du revenu, il est jugé confiscatoire », précise Philippe Bruneau.
Des arguments qui ne découragent pas les promoteurs de cet ISF. « La situation actuelle est une rupture de l’égalité devant l’impôt, qui est un principe constitutionnel, en exonérant des contribuables qui ont une capacité contributive gigantesque. Ce n’est plus acceptable. » La bataille de la taxation des milliardaires ne fait que commencer.
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