Taxe Zucman : « La menace d’un renforcement de l’imposition pousse nombre de patrimoines à envisager un départ »

Publié le 15/09/2025

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Tribune parue le 13 septembre 2025 dans Les Echos (réservé pour les abonnés), par Philippe Bruneau et Jean-Yves Mercier, Président et Vice-Président du Cercle des Fiscalistes.

Récemment, deux rapports officiels démontrent qu’il y a du grain à moudre auprès des plus gros contribuables. Un hasard ? Celui du Conseil d’analyse économique (CAE) publié le 27 juillet dernier révèle que le flux des départs vers l’étranger des actionnaires des entreprises françaises n’a qu’un impact très marginal sur la vitalité de celles-ci. Celui de l’INSEE publié le 2 septembre observe que le taux de l’imposition des bénéfices des PME a moins diminué entre 2016 et 2022 que celui des grandes entreprises.

La presse a quasi unanimement tiré de ces publications la conclusion que l’on peut sans dommage pour l’économie nationale alourdir l’imposition frappant les particuliers titulaires de gros patrimoines et qu’il serait équitable de renforcer celle qui frappe nos grandes entreprises sur leurs bénéfices.

A l’attention des décideurs politiques, nous nous permettons d’émettre quelques réserves sur ces appréciations.

Le risque d’exil fiscal

Il est rassurant d’observer, comme le démontre le rapport du CAE, que l’exil fiscal des personnes détenant le capital de nos entreprises n’amoindrit qu’à la marge le dynamisme de celles-ci. Cependant, se pose une autre question, non moins importante. A quel montant évalue-t-on les pertes de recettes fiscales qu’entraîne la délocalisation de leurs détenteurs ?

Malgré les conclusions hâtives d’une certaine presse, force est de constater que le rapport n’y répond pas. D’ailleurs, seuls les conseils qui sont au contact des intéressés (avocats, experts-comptables, notaires, banquiers…) sont aptes à y répondre. Et à les écouter, la menace d’un renforcement de l’imposition du patrimoine pousse aujourd’hui nombre de leurs clients à envisager un départ. Or, une vague de départs écornerait lourdement les finances publiques en faisant perdre au pays des recettes d’impôt sur le revenu, de TVA, mais aussi des contributions aux budgets sociaux. Sans oublier le manque à gagner sur les droits de donation ou de succession. En définitive, c’est la communauté des contribuables demeurés en France qui assumerait le fardeau des déperditions.

Il nous semble ainsi improductif et risqué d’envisager un alourdissement de l’imposition sur la détention du patrimoine qui viendrait à coup sûr alimenter un flux d’expatriations tel que celui que connaît le Royaume-Uni où 16.500 millionnaires devraient fuir le pays en 2025, suivant l’exemple des 30.000 qui l’ont déjà fait en 2024, en raison d’une forte élévation de la pression fiscale. Les mêmes causes produisent les mêmes effets de part et d’autre de la Manche. Rappelons que la France a subi en 1996 un exil considérable à la suite de la décision du gouvernement Juppé de restreindre le bénéfice du plafonnement de l’ISF. La principale terre d’accueil des transfuges a été la Suisse qui s’honore encore aujourd’hui d’héberger sur son sol 45 familles françaises parmi ses 300 familles les plus fortunées du pays (d’après la revue Bilan en 2024). Veut-on réactiver ce scénario ?

Taux d’imposition des sociétés

Analysant les conséquences en 2022 de la baisse générale du taux de l’impôt sur les sociétés (IS) amorcée en 2016, l’INSEE constate que le taux d’imposition des PME n’a reculé que de 1,7 point sur la période, pour s’établir à 21,4 %. Celui des grandes entreprises a baissé de 5 points pour s’établir à 14,3 %.

Plusieurs raisons expliquent que les grandes entreprises paient moins d’IS que les PME sur leur bénéfice d’exploitation. Elles s’endettent davantage pour financer leurs investissements, ce qui réduit leur résultat du montant des intérêts. Leur bénéfice n’est pas non plus composé des mêmes éléments que celui d’une PME. Il provient pour une large part des dividendes de filiales étrangères qui ont réglé l’IS localement, ce qui ne crée en France qu’une charge d’impôt résiduelle. En revanche, les grandes entreprises acquittent des impôts de production notablement plus élevés que les PME.

Il serait ainsi malencontreux que l’étude de l’Insee serve de caution scientifique à une hausse de l’IS des grandes entreprises.

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