
Tribune publiée par Figaro Vox, le 16 décembre 2025
Philippe Bruneau est président du Cercle des fiscalistes. Damien Charrier est président du Conseil national de l’ordre des experts-comptables (CNOEC). Yasmine Develle est présidente de l’Association des Avocats-Conseils d’Entreprises (ACE-Avocats).
« Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre » : les débats sans fin sur l’utilité du régime Dutreil et son éventuelle réduction, voire suppression, risquent de vérifier une fois de plus la véracité de l’aphorisme de Churchill. Durant la crise sanitaire, les Français découvrent avec stupéfaction que beaucoup de médicaments, dont les précieux antibiotiques, ne sont plus fabriqués sur le sol national. Ce traumatisme est tel que, lors de la campagne présidentielle qui a suivi, la souveraineté nationale
fut un thème porté par nombre de candidats. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?
Rappelons qu’en 1981, le taux marginal d’imposition successorale en ligne directe a doublé, passant de 20 à 40 %, rendant financièrement impossible la transmission des entreprises familiales aux héritiers, et ne laissant d’autres choix à leurs dirigeants que la vente, généralement au profit de sociétés étrangères. Le cas des laboratoires UPSA, cédés en 1989 au groupe américain BMS par l’héritière dans l’impossibilité financière de régler les droits de succession, fut emblématique au point qu’il a sans doute contribué à la création de ce régime dérogatoire, et indispensable au maintien du tissu entrepreneurial français. Un cas emblématique certes, mais pas unique. Ainsi, durant les décennies 80 et 90, ce sont plusieurs centaines d’entreprises familiales qui se sont vendues, souvent à des groupes étrangers, avec toutes les conséquences que cela implique en matière de délocalisation du savoir-faire et de destruction d’emplois, bref de désindustrialisation du pays.
On peut s’attendre à enregistrer un nouveau flux de protestations contre les largesses fiscales qu’en l’espèce l’État consent à la collectivité des entrepreneurs prospères.
Aujourd’hui, alors que la balance du commerce extérieur accuse chaque année un déficit grandissant, que le taux marginal d’imposition des successions et donations est passé à 45 %, nombre de voix s’élèvent pour s’inquiéter du processus continu de désindustrialisation de la nation, certains, sous couvert d’une recherche d’égalité dogmatique, s’interrogent encore, sans aucune perspective historique, sur le bien-fondé de ce régime, quitte à prendre le risque de voir le pays perdre ses entreprises familiales au détriment de sa souveraineté économique. Ces apprentis sorciers pourront alors faire coup double en illustrant également le précepte de Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets des maux dont ils chérissent les causes ».
Alimentant la controverse, la Cour des comptes vient de chiffrer l’économie que ce régime a procurée aux familles françaises au cours des années 2023 et 2024, à savoir 3,3 milliards d’euros pour 2023 et 5,5 milliards d’euros pour 2024. Ces montants nous réjouissent à deux titres. Ils témoignent d’abord de l’importance de l’effectif des entreprises qui vont à coup sûr rester durablement sous la direction et entre les mains d’actionnaires français. En mettant en lumière que l’essentiel de l’économie réalisée provient des donations de titres, ces chiffres attestent ensuite, seconde bonne nouvelle, que le régime des pactes Dutreil profite majoritairement aux transmissions préparées, c’est-à-dire à celles qui sont le plus à même d’assurer la pérennité des entreprises formant l’ossature de notre tissu économique national.
On peut s’attendre à enregistrer un nouveau flux de protestations contre les largesses fiscales qu’en l’espèce l’État consent à la collectivité des entrepreneurs prospères. Soit ; mais il nous semble qu’il est dans l’intérêt public que l’État sacrifie temporairement ses ressources aussi bien pour favoriser la survie de ses entreprises familiales et assurer ainsi la pérennité de ses recettes fiscales, qu’il le fait, avec une grande générosité, en faveur de leur création.
Corinne Caraux et Jean-Yves Mercier, membres du Cercle des fiscalistes, jugent problématique l’analyse de la Cour des Comptes sur le Pacte Dutreil, tant au niveau du diagnostic que dans la nature des préconisations.
Le Pacte Dutreil, souvent présenté comme une dépense fiscale excessive, est en réalité un outil essentiel à la transmission des entreprises familiales. Jean-François Desbuquois démontre qu’affaiblir ce dispositif mettrait en danger l’emploi, le tissu économique territorial et même la souveraineté nationale. Une analyse clé pour comprendre les véritables enjeux derrière ce mécanisme stratégique.
Le choix du placement qui accueillera des actifs financiers faisant l’objet d’un démembrement est essentiel et la fiscalité n’est pas le seul critère à considérer.