La hausse exceptionnelle de l’inflation induit une hausse cachée des impôts, expliquent les avocats et membres du Cercle des fiscalistes qui estiment nécessaire de réviser la législation fiscale afin qu’elle tienne compte de l’inflation dans la définition des taux.
Par Philippe Baillot et Jean-François Desbuquois, membres du Cercle des fiscalistes
Publié dans Le Figaro le 28/02/2023
L’actuelle flambée inflationniste exacerbe les conséquences de notre nominalisme fiscal. Il induit une hausse cachée de notre fiscalité et, plus encore, une perte de substance de la loi et, dans nombre de cas, une rupture de sa logique. Traditionnellement, ce nominalisme consiste dans le refus par notre législation fiscale de tenir compte de l’inflation dans la définition des taux, seuils et assiettes de nos impositions. À l’encontre du mantra gouvernemental – «ni hausse des impôts, ni des déficits», il a pour première conséquence d’accroître mécaniquement nos prélèvements obligatoires.Bas du formulaire
À titre d’exemple, les capitaux versés au titre d’un contrat d’assurance-vie à un bénéficiaire désigné lors de la disparition de l’assuré bénéficient d’un abattement de 152.500 euros. Simplement, ce montant, fixé par le législateur de 1998, n’a jamais été revalorisé.
Ainsi, le placement préféré des Français voit-il son imposition accrue chaque année, en l’absence même de toute modification de notre législation. Son simple maintien aurait conduit à porter cet abattement à 220.000 euros en début d’année…
Au titre de l’année passée, en présence d’une inflation supérieure à 5 %, l’État n’a pas hésité un instant à prélever sa dîme sur des revenus réels négatifs, aggravant ainsi les conséquences de l’inflation pour la plupart des épargnants.
L’absence de prise en compte de l’inflation masque également la réalité des impositions. Le prélèvement forfaire unique – dit flat tax – applicable à l’essentiel des revenus de capitaux est annoncé au taux de 30 %. À titre d’illustration, le placement d’une somme de 100 euros, avec une valorisation annuelle de 4 %, générera, en fin d’année, un produit de 4 euros. L’imposition exigible, au taux apparent de 30 %, induit donc une ponction de 1,20 euro. Si au cours de cette période l’inflation s’est élevée à 2 % – conformément à l’objectif de la Banque centrale européenne -, ce prélèvement représentera, en réalité, 60 % du revenu réel hors inflation (soit 2 euros)! Naturellement, au titre de l’année passée, en présence d’une inflation supérieure à 5 %, l’État n’a pas hésité un instant à prélever sa dîme sur des revenus réels négatifs, aggravant ainsi les conséquences de l’inflation pour la plupart des épargnants.
Aussi bien, «l’inflation est-elle une forme d’imposition qui peut être imposée sans législation». En l’absence de majorité absolue à l’Assemblée, l’adage de Milton Friedman revêt clairement une nouvelle actualité.
À cet égard, l’absence d’indexation, sur parfois des décennies, de nombre de seuils d’imposition – à l’exemple du logement locatif neuf (Scellier, Duflot, Pinel), du Malraux, des FIP, FCPI, … – débouche sur une baisse mécanique de l’efficacité des réductions d’impôts récurrentes.
Quant au défaut, depuis 2012, de revalorisation du seuil des abattements et des tranches en matière de droit de succession, il rend imposables en 2023, des patrimoines non taxables en 2012, en l’absence apparente de toute modification de notre loi fiscale! La conséquence de ce glissement souterrain est très significative tant pour les contribuables que pour les recettes du Trésor. En 2010, une succession sur six était imposable. C’est désormais le cas d’une sur trois.
Notre nominalisme fiscal aboutit à imposer progressivement des patrimoines qui ne l’étaient pas lors de l’adoption des seuils.
Le mécanisme en jeu en matière d’impôt sur la fortune immobilière est le même. Depuis 2013, le seuil de déclenchement de l’ISF et maintenant de l’IFI a été bloqué à 1,3 million d’euros «et, en même temps», l’inflation augmente mécaniquement la valeur des actifs immobiliers, pas seulement sur l’île de Ré! Notre nominalisme fiscal aboutit à imposer progressivement des patrimoines qui ne l’étaient pas lors de l’adoption des seuils.
Dans cette phase de reprise de l’inflation, notre nominalisme fiscal s’apparente, de plus en plus, à un déni de démocratie. Nos concitoyens ne «déterminent» plus vraiment – fût-ce par leurs représentants – «la quotité (et) l’assiette» de leurs contributions publiques, à l’encontre des termes de notre Déclaration des droits de 1789 !
Pour une lisibilité et une acceptabilité renouvelées de notre fiscalité, doublées d’une véritable aide au pouvoir d’achat des ménages, notre législateur devrait donc abandonner le nominalisme fiscal. Pour le moins, il devrait indexer nos principaux seuils et barèmes d’imposition en matière d’épargne ou de droits de succession et non – pour un pur effet d’annonce – pour le seul impôt sur le revenu. À cette seule condition, il évitera de voir l’État taxé de «profiteur de l’inflation».
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