Redevance télé : ces chaînes qu’on abat

Publié le 7/07/2022

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En mars dernier, Emmanuel Macron a annoncé sa volonté d’inscrire dans le projet de loi sur le pouvoir d’achat la suppression de la redevance audiovisuelle. Le projet présidentiel prévoit de « supprimer la redevance télé » et « en même temps », de « garantir l’indépendance de l’audiovisuel public ».

 

Par Philippe Baillot – Membre du Cercle des fiscalistes

Publié par Les Echos, le 04 juillet 2022

La logique de cette proposition interroge. En l’absence de toute diminution annoncée des dépenses du service public de l’audiovisuel, elle ne correspond en rien à un accroissement du pouvoir d’achat des ménages. Elle s’analyse simplement en un transfert de charge. Au demeurant, à ce stade, son bénéfice final reste parfaitement ignoré entre les 23 millions de foyers effectivement assujettis et, a fortiori, les plus de 4,6 millions de foyers d’ores et déjà exonérés aux motifs d’âge, de niveau de revenus ou de handicap. Aussi cette mesure constitue-t-elle une parfaite illustration de la définition de L’État de Frédéric Bastiat : « cette grande fiction par laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde ».

En apparence, l’enjeu porte sur un montant annuel par ménage de 138 euros. Simplement, la multiplication des chaines payantes offre l’opportunité aux téléspectateurs-contribuables de réfléchir à l’offre publique correspondant à cette « taxe affectée » en termes de rapport qualité/prix de la prestation fournie.

Et un nombre croissant de ménages se demandent s’ils en ont pour leur argent. Sur un marché concurrentiel, la réponse des acteurs consisterait : soit, à accroitre la valeur ajoutée ressentie ;  soit, à diminuer le prix exigé. Or, à l’exemple de la sphère publique dans son ensemble, ni le coût, ni l’efficience de notre secteur public audiovisuel ne sont sérieusement interrogés… La redevance télé constitue, à une échelle réduite, une parfaite illustration de la dérive en cours de nos prélèvements obligatoires.

À défaut de pouvoir en justifier la contrepartie, l’État cherche à les rendre de plus en plus furtifs, voire indolores. Ainsi. les opportunités pour les contribuables de rédiger un chèque à l’ordre du Trésor et, par suite, d’avoir une « pleine conscience«  du coût des services publics sont-elles systématiquement supprimées : à l’image de la taxe d’habitation hier, et demain de la redevance télé avec la mise en œuvre du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu… À cet égard il importe d’observer l’absence de toute fatalité. Ainsi, pour La TVA – à l’aure de la pratique américaine – il suffirait d’annoncer les prix hors taxe et non plus TTC. Chaque achat d’un bien s’en trouverait assorti d’une prise de conscience renouvelée du coût de nos services publics.

Au-delà de la disparition de toute pédagogie de notre dépense publique, cette évolution conduit à s’interroger sur le fondement même de notre démocratie. Le lien citoyen est fragilisé par la disparition de toute mention sur un avis d’imposition. Avec la suppression de la redevance télé, la majorité des Français, d’ores et déjà exempte d’impôt sur le revenu, n’aurait plus aucun chèque à faire au Trésor. Or, nos démocraties trouvent leur fondement historique dans le lien absolu entre « taxation » et « représentation », à l’origine directe du parlement de Westminster et des Révolutions américaine et française.

La suppression de la taxe d’habitation hier et de la redevance télé demain atteint les fondements de notre démocratie sur un second point. En effet, elle touche le principe d’autonomie financière des collectivités territoriales et ponctuellement de notre audiovisuel public. Ces évolutions interdisent à des contribuables anesthésiés d’avoir une quelconque compréhension, jusqu’à la plus ténue, de la répartition des prélèvements subis entre les diverses collectivités publiques (Communes, Départements Régions, État…) . La suppression projetée d’une nouvelle « taxe dédiée« , à l’image de la redevance télé, relève de la même logique de confusion et donc d’irresponsabilité accrues de nos responsables publics. « Le mal français » s’en trouverait conforté.

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