Taxe sur les holdings : “Dans quelques années, l’État devra-t-il rembourser ?”

Publié le 23/10/2025

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La taxe sur les holdings figurant dans le PLF 2026 est difficilement compatible avec les exigences constitutionnelles et avec celles du droit de l’UE, pointent Philippe Bruneau, président du Cercle des fiscalistes, Jean-Yves Mercier et Jérôme Turot, vice-présidents de ce think-tank.

Tribune collective des membres du Cercle des fiscalistes, publiée dans Le FigaroVox, le 22 octobre

La taxe sur les holdings présente les graves inconvénients économiques déjà abondamment soulignés dans le débat public. On voudrait ici évoquer des interrogations sur sa compatibilité avec les exigences constitutionnelles et avec celles du droit de l’Union européenne. Cette taxe sur la fortune des holdings va poser au juge constitutionnel d’abord et au juge européen ensuite des questions inédites. On sait que le Conseil constitutionnel veille à ce que l’impôt sur la fortune des particuliers ne soit pas confiscatoire, c’est-à-dire n’absorbe qu’une partie de leurs revenus. C’est ce qui l’a conduit à poser l’exigence d’un plafonnement de l’ancien ISF, et a conduit le législateur à assortir en 2018 l’impôt sur la fortune immobilière de ce même plafonnement.

La taxe appelée à frapper le patrimoine des holdings présente une singularité car elle fait reposer le fardeau de la dette fiscale sur la société contrôlée par certains associés sans exiger d’eux la moindre contribution. Il n’empêche que la taxation subie par la société réduira bien la valeur de leurs titres. Économiquement, il s’agit d’un ISF ressuscité, et d’un ISF partiel mais déplafonné. Si le Conseil constitutionnel maintient sa jurisprudence antérieure, rendue – il est vrai – dans des circonstances différentes et une composition différente, cette taxe sur les holdings pourrait être censurée comme susceptible d’être confiscatoire faute de plafonnement.

Pour défendre la constitutionnalité de son projet, Bercy fait valoir que cette taxe ne vise pas les personnes physiques. Il est de fait qu’elle ne les frappe qu’indirectement étant donné qu’elle est mise à la charge des sociétés holdings placées sous leur contrôle. Mais elle porte sur la détention de certains actifs sans considération du montant des profits tirés de cette détention : elle peut donc conduire à un appauvrissement des sociétés qui en sont redevables, et financièrement, la taxe pèsera conjointement sur la société et sur ses associés. Il n’est pas impossible que s’il est saisi d’une critique fondée sur l’absence de plafonnement de la taxe, le Conseil constitutionnel écarte l’objection en considération du fait que le paiement de la taxe est réclamé à la société.

La taxe ne pourra alors être payée que si la holding cède progressivement, chaque année, une fraction de ses actifs, et, s’il s’agit de participations, au risque de perdre le contrôle de ses filiales.

On peut penser que le juge constitutionnel sera également saisi de la question de la proportionnalité de la taxe au regard de la capacité contributive des sociétés assujetties. Son taux, 2 %, est-il suffisamment faible pour que l’on se dispense de porter attention à l’appauvrissement qu’elle va entraîner ? Nous n’en sommes pas sûrs car ce taux s’applique à la valeur des actifs sans tenir compte de leur rentabilité. Ce taux n’est pas faible au regard des actifs dont les revenus sont eux-mêmes faibles ou inexistants. La taxe ne pourra alors être payée que si la holding cède progressivement, chaque année, une fraction de ses actifs, et, s’il s’agit de participations, au risque de perdre le contrôle de ses filiales. On peut d’ailleurs craindre que l’accumulation de la taxe dans le temps, année après année, ne serve l’intérêt des investisseurs étrangers.

Les participations françaises seront alors rachetées par des intérêts concurrents ou par des fonds, généralement anglo-saxons : la France aura perdu le contrôle d’un certain nombre d’investissements au profit de la finance internationale. En tout état de cause, à supposer même que le Conseil constitutionnel admette que la taxe satisfait au test de proportionnalité, il le fera nécessairement en considération du fait que son paiement incombe à la société sans atteindre directement le patrimoine de ses associés. Cette jurisprudence aurait au moins pour mérite de condamner toute tentative d’assujettir les ultra-riches à une imposition de 2 % non plafonnée sur la valeur de leur patrimoine.

S’agissant des holdings situées à l’étranger, le projet du gouvernement risque fort de se heurter au droit de l’Union européenne. On comprend parfaitement la volonté du gouvernement de taxer ces entités, faute de quoi la taxe perdrait de son efficacité. Mais cet objectif louable se heurte à nos engagements européens. Lorsque la holding n’est pas française, la taxe s’appliquera, non à la holding, mais à l’associé français de cette holding étrangère. Ainsi, on change de contribuable. Alors que l’associé d’une holding française n’aura aucun impôt à payer personnellement, l’associé d’une holding européenne sera personnellement redevable de la taxe holding. Ceci a pour effet de dissuader fortement les Français d’établir leurs holdings ailleurs qu’en France. Circonstance aggravante, la charge fiscale totale sera plus lourde en présence d’une holding étrangère, car l’associé français devra payer la taxe de ses propres deniers, et pour cela se faire distribuer par la holding des dividendes sur lesquels il sera imposé. Il y aura alors cumul entre la taxe sur les holdings et un impôt sur le revenu amplifié.

Dans ce cas, non seulement le droit de l’UE sera méconnu, mais il s’y ajoutera une atteinte au principe d’égalité puisque la situation de l’associé d’une holding étrangère sera dégradée par rapport à celle de l’associé d’une holding française. Le risque que la taxe échoue devant la Cour de justice de l’Union européenne est plus élevé que devant le Conseil Constitutionnel. Avec le risque que l’État doive rembourser, dans quelques années seulement est vrai, la taxe payée par les associés français de holding situées dans un autre État de l’UE.

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