Corinne Caraux et Jean-Yves Mercier, membres du Cercle des fiscalistes, jugent problématique l’analyse de la Cour des Comptes sur le Pacte Dutreil, tant au niveau du diagnostic que dans la nature des préconisations.
Tribune publiée dans L’Opinion, le 03 Décembre 2025
« Un dispositif en forte croissance à mieux cibler ». Voilà l’appréciation que porte la Cour des comptes sur le Pacte Dutreil, dans son rapport du 18 novembre dernier mesurant l’efficience de l’exonération de droits de mutation qui s’attache à la transmission des entreprises dans le cercle familial. La méthode empruntée pour établir le diagnostic et la nature des préconisations nous paraissent poser problème.
La Cour examine la trajectoire de deux groupes d’entreprises transmises. Le premier comprend les transmissions opérées sous l’abri du pacte, le second celles opérées sans ce recours parmi lesquelles figurent celles sujettes à une imposition faible ou nulle, les transmissions d’ampleur unitaire se situant autour de la limite de l’abattement de 100 000 euros qui s’applique à la part transmise par chaque parent à chaque enfant, et les donations-cessions, consenties dans le cercle familial, immédiatement avant la vente de l’entreprise à des tiers, en vue d’obtenir la purge de la plus-value des titres donnés.
Dans chacun de ces cas, la transmission a pu s’opérer sans que le poids des droits de mutation vienne l’entraver. Il n’est donc pas surprenant que les trajectoires post-transmission des deux groupes étudiés soient relativement proches. Mais tirer de cette observation la conclusion que le dispositif du pacte n’a pas d’effet économique utile ne nous paraît pas pleinement convaincant. Manque, en effet, dans le champ de la comparaison, l’observation de la trajectoire des entreprises ayant fait l’objet d’une vente à des tiers sans donation préalable, situation de loin la plus répandue.
Deux propositions requièrent une attention particulière. L’une tend à rendre pleinement taxables les actifs non professionnels. Si ce recentrage est louable sur un certain nombre de biens dits somptuaires que le législateur a d’ailleurs déjà identifiés au cours des débats relatifs au projet de taxe sur les holdings actuellement soumis au Parlement, le caractère nécessaire de la trésorerie stable doit être sanctuarisé. La tentation de s’en remettre à l’appréciation des agents du contrôle fiscal risque de faire renaître les contentieux sans fin qui ont eu lieu à l’époque de l’ISF.
L’autre vise à supprimer le dispositif spécifique qui permet d’organiser un désintéressement des donataires par le repreneur de l’entreprise familiale (schéma du family buy out, FBO). Précisons que le mode d’imposition dans le cadre du FBO n’est aucunement lié au dispositif Dutreil, il s’agit d’une règle générale d’établissement de l’impôt qui s’applique à toutes les donations-partages comportant une soulte ou une plus-value de lot, indépendamment de la nature des actifs transmis. La proposition de la Cour de neutraliser ce mécanisme en cas de transmission d’entreprises constituerait une régression du dispositif d’autant plus surprenante que ces situations correspondent précisément aux transmissions familiales les plus vertueuses, c’est-à-dire celles à la faveur desquelles, non seulement le contrôle de l’entreprise est transmis au dit repreneur mais, dans les faits, également la fonction de direction.
Bpifrance évalue à 370 000 le nombre d’entreprises de moins de 5000 salariés susceptibles d’être transmises d’ici cinq ans. A l’heure où s’ouvre cette « Grande Transmission », la seule réforme indispensable du Dutreil est celle que l’on n’entreprend pas : sa stabilité.
Le Pacte Dutreil, souvent présenté comme une dépense fiscale excessive, est en réalité un outil essentiel à la transmission des entreprises familiales. Jean-François Desbuquois démontre qu’affaiblir ce dispositif mettrait en danger l’emploi, le tissu économique territorial et même la souveraineté nationale. Une analyse clé pour comprendre les véritables enjeux derrière ce mécanisme stratégique.
Le choix du placement qui accueillera des actifs financiers faisant l’objet d’un démembrement est essentiel et la fiscalité n’est pas le seul critère à considérer.
« Pour les parents, laisser un héritage à ses enfants consiste à arbitrer entre consommation personnelle et transmission familiale », estiment Jérôme Bernecoli et Frédéric Poilpré. Dans une chronique du Point publiée le 20 mai, Julien Damon propose de taxer les héritiers plutôt que l’héritage au soutien de la thèse selon laquelle il est économiquement plus avantageux d’hériter que de travailler, oubliant que les Français sont majoritairement contre l’impôt sur la mort.