Successions : un des barèmes les plus lourds au monde

Publié le 2/07/2021

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Les propositions du rapport Blanchard-Tirole font planer un danger sur « le tissu de nos trop rares grandes entreprises familiales françaises », mettent en garde Philippe Bruneau et Jean -Yves Mercier (publié dans l’Opinion, le 01/07/2021).

Dans leur récent rapport sur « Les grands défis économiques », les économistes Olivier Blanchard et Jean Tirole préconisent une augmentation de la fiscalité sur la transmission des grandes entreprises familiales, arguant du fait qu’elles n’ont pas de problème de liquidités. On croit comprendre que, dans l’esprit des auteurs, il est aisé pour une grande entreprise d’augmenter ses dividendes pour donner à ses actionnaires familiaux de quoi s’acquitter des droits sur sa transmission.

Une telle pratique renchérirait considérablement le coût de l’opération car les dividendes subissent d’abord la ponction des impôts directs (30 % aujourd’hui), avant de pouvoir servir au règlement des droits. De son côté, la société risquerait de se trouver fragilisée. On imagine aussi la difficulté qui s’attacherait à l’introduction d’une discrimination fondée sur la taille de l’entreprise : où fixer la ligne de partage, comment justifier la différence de traitement au regard des principes constitutionnels ?

Nous aimerions voler au secours des entreprises familiales. Elles échappent à la tyrannie du court terme et se projettent vers le temps long. C’est en cela qu’elles se caractérisent par une stabilité de l’emploi. Leur transmission d’une génération à l’autre est un moment crucial pour leur survie. Devant le coût et la complexité d’une telle opération, beaucoup d’entre elles préfèrent se céder à un tiers, avec le risque de les voir passer sous pavillon étranger.

Or, toutes catégories d’entreprises confondues, le taux de survie d’une entreprise est toujours supérieur dans les cas de transmissions familiales. C’est pourquoi la plupart des pays développés ont mis en place des dispositifs qui annulent les droits de succession sur les transmissions d’entreprises. Pas la France. Conséquence, le taux de transmission au sein de la famille est de 56 % en Allemagne, et de 70 % en Italie, alors qu’il n’est que de 17 % en France.

Pacte Dutreil. Pour remédier à cela, la France a institué en 2003 le « pacte Dutreil » qui réduit, sous certaines conditions, l’assiette de 75 % et les droits de 50 %. Mais il n’a en réalité vocation qu’à corriger les effets dévastateurs d’un barème des droits de succession qui est l’un des plus lourd au monde (jusqu’à 45 %). En matière de taux effectif d’imposition, même en tenant compte d’un pacte Dutreil, la transmission familiale d’entreprise se révèle toujours nettement plus imposée en France que dans tous les pays voisins.

La conséquence de cette politique fiscale désastreuse est qu’alors qu’on dénombrait en France en 1980 le même nombre d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) qu’en Allemagne, on en compte aujourd’hui 5 800 en France contre 12 500 en Allemagne. La création de l’impôt sur la fortune en 1982 et l’incidence du doublement du barème des droits de succession en 1984 ont eu de lourdes conséquences, et le pacte Dutreil n’a pas réussi à inverser cette tendance.

Alors que la plupart des praticiens jugent que le dispositif Dutreil n’est aujourd’hui plus suffisant pour répondre aux attentes et aux enjeux des entreprises familiales, et qu’il faudrait aller plus loin, voilà qu’un groupe de professeurs d’économie de toutes nationalités descendent de leurs chaires universitaires pour nous proposer de le supprimer pour les plus grandes d’entre elles. Force est de se demander s’ils ont véritablement mesuré les dangers que cette proposition représenterait pour le tissu de nos trop rares grandes entreprises familiales françaises.

Par Philippe Bruneau, le président du Cercle des fiscalistes et Jean -Yves Mercier, avocat honoraire, membre du Cercle des fiscalistes.

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