TVA

Pour relocaliser notre production, augmentons la TVA !

Publié le 30/04/2020

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Article paru le 29 Avril 2020 dans « Figaro ».

 

FIGAROVOX/TRIBUNE – Une hausse de la TVA augmenterait le coût des importations et encouragerait les entreprises françaises à relocaliser leur production après la crise, explique l’avocat fiscaliste Jérôme Turot.

 

Jérôme Turot est avocat, membre du Cercle des fiscalistes.

 

Laurent Berger prône un «impôt exceptionnel» sur les sociétés non impactées par la crise. Il a raison de lancer le débat sur les conséquences que la crise sanitaire ne manquera pas d’avoir sur notre fiscalité. Mais il ne s’agit pas seulement de trouver des recettes supplémentaires pour faire face à la baisse des rentrées fiscales que cette crise va provoquer, et aux dépenses qu’elle exige. Il faut aussi, et surtout, qu’une réforme fiscale favorise la relocalisation en France des industries, et donc des emplois, ainsi que la transition écologique, comme l’a demandé Laurent Berger.

Le nez sur les questions de protection et de confinement, les observateurs n’ont guère relevé, dans le premier discours d’Emanuel Macron, le 12 mars, l’annonce de ce qui pourrait être un tournant majeur de politique économique: le Président veut rendre à la France une certaine souveraineté et le contrôle sur les besoins essentiels de la nation: alimentation, protection, cadre de vie. Il indique avec raison que cette pandémie révèle une chose grave: déléguer notre alimentation et notre protection à d’autres «est une folie». Il a affirmé vouloir en reprendre le contrôle.

Ce contrôle, cette exigence d’un minimum d’indépendance alimentaire et industrielle passent nécessairement par un mouvement de relocalisation. Les Français ont appris avec effarement que nous n’étions plus capables de produire, en tout cas en quantité suffisante, certains produits de première nécessité, dont la fabrication a été délocalisée dans un pays lointain d’où les approvisionnements peuvent s’interrompre. Le nombre de médicaments d’«intérêt thérapeutique majeur» qui connaissent une pénurie est en constante augmentation, selon l’agence nationale de sécurité du médicament. Le COVID-19 a perturbé notre approvisionnement en antibiotiques, en anticancéreux vitaux, et même en aspirine et paracétamol. Ces médicaments ne sont plus fabriqués qu’en Chine, où se produisent des pénuries à répétition liées à des fermeture de sites pour cause de violation de normes ou à des scandales sanitaires déclenchant un rappel mondial. C’est peut-être à la crise de l’aspirine que nous devons la déclaration iconoclaste de Bruno Le Maire, qui a qualifié l’hyperdépendance de l’Europe à la Chine «d’irresponsable et de déraisonnable».

 

La TVA est un impôt sur les délocalisations.

 

L’arme fiscale de ces relocalisations existe: augmenter le taux de la TVA. La TVA est un impôt sur les délocalisations, puisque les importations de biens sont soumises à la TVA, qui est perçue lors du passage en douane. C’est pourquoi toute augmentation du taux de TVA rend moins profitable la délocalisation de fabrications en Chine, au Vietnam, ou autres «ateliers du monde».

Un exemple pour illustrer cet effet. Les sociétés Dupond et Durand vendent un produit au prix de 10 € HT soit 12 € TTC. La société Dupond le fabrique en France, où sa production revient à 4€. Elle fait un bénéfice de 6€ sur lequel elle verse environ 2€ d’impôt sur les sociétés (IS). Elle a versé au Trésor 2€ de TVA et 2 € d’IS, soit 4 €. La société Durand le fait fabriquer en Chine, où il ne lui revient qu’à 1€. Elle fait transiter ce produit par une société située aux Iles Vierges Britanniques où elle ne paie pas d’impôt, puis elle l’importe en France au prix de 10€. Lorsqu’elle l’importe en France, elle paie 2€ de TVA au passage de la douane. Elle ne paie pas (ou pratiquement pas) d’IS puisqu’elle ne fait pas (ou peu) de bénéfice en France. Elle n’aura payé au Trésor, en tout et pour tout, que les 2€ de TVA. Une augmentation du taux de l’IS ne la pénaliserait pas (ou peu), alors qu’une augmentation de la TVA, en revanche, augmenterait son imposition: l’écart d’imposition entre les deux sociétés serait réduit, ce qui sera plus juste envers la société Dupond, et incitera même la société Durand à relocaliser sa production en France. Une augmentation de l’IS aggraverait au contraire le différentiel d’imposition entre les deux sociétés, puisqu’elle frapperait (presque) uniquement la société qui fait fabriquer en France.

Osons le dire: la TVA est un impôt juste, beaucoup plus juste que l’impôt sur les sociétés, puisqu’il oblige toutes les entreprises à payer de l’impôt, sans échappatoire possible. Le bénéfice peut faire l’objet de diverses optimisations, et il est facilement délocalisable pour les multinationales. Certaines entreprises peuvent ainsi piloter leur bénéfice, alors que personne ne peut escamoter son chiffre d’affaires. La TVA déjoue les techniques d’évitement de l’impôt.

Le chiffre d’affaires, lui, ne ment pas. C’est pourquoi la TVA fait contribuer l’ensemble des entreprises, tandis que l’impôt sur les sociétés pèse plus lourdement sur les entreprises purement nationales, qui n’ont pas de possibilité d’optimisation. Une augmentation de l’impôt sur les sociétés frapperait davantage les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) que les multinationales. Il serait certes possible de réserver cette hausse aux grandes entreprises, mais ce serait les inciter encore davantage à localiser leurs profits dans des zones de basse pression fiscale.

Ce n’est pas tout: en frappant les importations, une augmentation de la TVA mettra fin à certains transports lointains de produits, et réduira les émissions de gaz à effet de serre. On sait que les émissions du transport international aérien et maritime sont un danger majeur, alors surtout qu’elles échappent aux engagements internationaux de réduction des émissions. Il n’est pas en notre pouvoir de faire en sorte que des voiliers remplacent les cargos à moteurs diesel, hélas, mais en augmentant la TVA, la France réduira le bilan carbone d’une partie des produits que nous consommons.

 

L’expérience a démenti l’idée que la hausse de la TVA pèserait sur les ménages.

 

Face à l’intérêt évident d’une augmentation du taux de TVA, il ne faut pas écouter la rengaine selon laquelle la TVA serait un impôt sur les ménages, pesant sur le pouvoir d’achat, et non sur les entreprises. L’expérience a démenti cette idée. La TVA est un impôt sur la consommation, certes, mais pas nécessairement sur les consommateurs. L’histoire de la TVA sur la restauration nous a enseigné qu’une baisse de TVA ne fait pas baisser les prix, et qu’une hausse de la TVA les fait peu augmenter. En 2009, François Fillon baisse le taux de la TVA dans la restauration de 19,6% à 5,5% ; en contrepartie, le client a eu droit à une baisse du prix de son assiette de…1,9%. Lorsque le taux remonte de 5,5% à 7%, puis surtout en 2014 à 10%, on ne constate pas d’effet notoire sur les menus. En Allemagne, Angela Merkel a fait passer le taux de TVA de 16 à 19% en 2007, et cette hausse a été assez largement absorbée par les entreprises.

 

Dans une économie où la demande est insuffisante, ce ne sont pas les entreprises qui font les prix, mais les ménages.

 

Car c’est une vue de l’esprit d’imaginer qu’une entreprise construit son prix de vente avec une calculette, en décidant le prix hors taxe qu’elle souhaite avant d’y ajouter la TVA. Le client n’a cure du taux de TVA et de ses variations: il ne paiera pas plus qu’il ne peut ou ne veut payer. Dans une économie où, comme aujourd’hui, la demande est insuffisante, ce ne sont pas les entreprises qui font les prix, mais les ménages. C’est pourquoi la TVA est un impôt sur l’entreprise.

De combien faut-il augmenter le taux normal de TVA? On peut frapper un grand coup, car la France pratique un taux de TVA qui est un des plus bas en Europe: 17 États appliquent un taux plus élevé. Bien entendu, les taux réduits sur les produits de première nécessité resteraient inchangés.

Fixer le taux normal de TVA à 25 % créerait un choc économique de première importance, tant par le financement des politiques publiques d’investissement rendues possibles, que par le coup d’arrêt porté aux délocalisations et l’incitation forte donnée aux relocalisations de nos industries et de nos emplois – sans oublier la préservation de nos savoir-faire.

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