Ombres et lumières de la doctrine administrative sur les contrats de capitalisation

Publié le 10/04/2014

La mise en ligne par l’Administration fiscale d’une base documentaire unique ayant vocation à regrouper l’ensemble de ses commentaires antérieurs (BOFIP-impôts), n’en finit pas de poser des difficultés. Le transfert intégral et à l’identique de sa doctrine préexistante  se révèle en effet fort difficile à réaliser. Et lorsqu’il n’est pas effectué parfaitement, il fait parfois ressurgir des questions anciennes que l’on pensait réglées depuis longtemps.
Une illustration récente de ce phénomène, très regrettable pour la sécurité juridique, réside dans la valeur d’assiette taxable aux droits de succession des bons ou contrats de capitalisation. Cette question qui paraissait clairement réglée depuis une dizaine d’années a en effet ressurgi avec beaucoup de vigueur depuis quelques mois en raison d’une mise en ligne incomplète sur BOFIP- impôts, et a considérablement agité  les praticiens  avant de retrouver récemment la même solution que par le passé.
Nous rappellerons les phases successives de cette question.
 
1. La situation avant le 12 septembre 2012
Depuis 2002, et jusqu’à la mise en ligne du BOFIP-impôts le 12 septembre 2012, l’état de la question paraissait à peu près stabilisé.
En matière de droits de succession, les bons et contrats de capitalisation étaient traditionnellement taxés sur leur valeur vénale au jour du décès de leur titulaire. L’administration les analysait en effet comme des créances à terme et les imposait en application de l’article 760 du CGI sur leur valeur nominale majorée des intérêts courus ainsi que de ceux échus mais non encore payés à la date du décès. Ces principes étaient rappelés dans la documentation administrative ( doc. de base 7 G 2312) qui indiquait notamment : « Toutes les créances dues au défunt au moment de son décès doivent être déclarées. Elles sont imposables quelle que soit leur date d’échéance sur leur montant nominal en ajoutant tous les intérêts échus et non encore payés au décès ainsi que ceux courus à la même date (CGI, art. 760) » et plus loin « 4. Bons du Trésor. Constituant des créances, ils doivent être déclarés pour leur montant nominal en ajoutant tous les intérêts échus et non encore payés au décès ainsi que ceux courus à la même date. »
Une première difficulté d’interprétation était déjà survenue en 1999. A cette époque l’Administration avait en effet admis, par mesure de tolérance, qu’en matière d’ISF les bons du Trésor et bons de capitalisation resteraient imposables, année après année, sur leur valeur nominale (la valeur de souscription d’origine) et donc à l’exclusion de tous les produits ou plus-values acquis  ultérieurement par le contrat. Cette tolérance était justifiée  dans les commentaires de l’administration par une analogie avec la règle d’assiette identique qu’elle retenait pour l’application du prélèvement spécifique sur les bons anonymes (art. 125 A-III-2° CGI). Cette mesure de tolérance était reprise dans sa doctrine (doc. de base 7 S 352 n°6) sous un titre « A- BASES LEGALES D’EVALUATION APPLICABLES EN MATIERE DE DROITS DE SUCCESSION ET D’IMPOT DE SOLIDARITE SUR LA FORTUNE ».
A la suite de cette prise de position favorable et compte tenu du titre sous lequel elle figurait, la question s’était alors posée pour les praticiens de savoir si la mesure de tolérance admise pour l’ISF pouvait valoir également en matière de droits de succession.
Mr. Léonce Deprez, député opiniâtre, avait du poser à deux reprises cette question au Ministre de l’Economie (question n° 69.114 du 19 novembre 2001, et question n° 2020 du 26 août 2002, JOAN 26 août 2002, p.2913), tandis que parallèlement le sénateur Serge MATHIEU interrogeait ce dernier sur le même sujet (Question n°02372, JOS 19 sept.2002, p.2051).
Le ministre finit par leur répondre le 21 octobre 2002 (JOAN 21 octobre 2002, p. 3722 et JOS 24 octobre 2002, p.2475) en  confirmant d’une part que cette tolérance ne valait qu’en matière d’ISF et non de droits de succession, et d’autre part que la justification même de la dérogation admise en matière d’ISF était à l’étude avec les intervenants du marché.
Fin 2002, les hésitations semblaient donc être définitivement levées, et à notre connaissance l’ensemble des praticiens ne prenaient en compte la valeur nominale des bons et contrats de capitalisation que pour les seules déclarations d’ISF. En revanche dans les déclarations de succession, ils les faisaient figurer pour leur valeur vénale au jour du décès. Aucun contentieux ne semble avoir été engagé sur cette question au cours des années qui suivirent. Il parût sans doute difficile d’invoquer une prétendue doctrine administrative favorable ( le titre du paragraphe contenant la tolérance administrative qui faisait référence notamment aux « droits de succession ») dans la mesure ou les réponses ministérielles du 21 octobre 2002 avaient levé l’ambiguïté résultant des mentions contradictoires des deux BOI, et avaient confirmé que la tolérance n’était admise qu’en matière d’ISF.
2. La mise en ligne sous BOFIP-impôts
La mise en ligne de cette doctrine sur la base BOFIP-impôts a eu lieu le 12 septembre 2012. Elle s’est réalisée de la façon suivante :
– Un premier document fut publié dans la section « ENR-MUTATIONS A TITRE GRATUIT-SUCCESSIONS-ASSIETTE-EVALUATION DES BIENS MEUBLES INCORPORELS » sous les références : BOI-ENR-DMTG-10-40-10-40.
Il précisait :
. au paragraphe 60:
 « Toutes les créances dues au défunt au moment de son décès doivent être déclarées. Elles sont imposables quelle que soit leur date d’échéance sur leur montant nominal en ajoutant les intérêts échus et non encore payés au décès ainsi que ceux courus à la même date (CGI, art. 760) »
. et au paragraphe 120 :
« Bons du trésor : Constituant des créances, ils doivent être déclarés pour leur montant nominal en ajoutant tous les intérêts échus et non encore payés au décès ainsi que ceux courus à la même date ».
Il s’agissait donc de la reprise à l’identique sur ces différents points de la doctrine administrative antérieure sus-rappelée (doc. de base 7 G 2312).
– Un second document fut publié dans la section « PAT-ISF-ASSIETTE-BASES LEGALES D’EVALUATION DES BIENS » sous les références BOI-PAT-ISF-30-50-20 (puis mis à jour le 5 août 2013 mais sans modification sur ce point précis).
.Il indiquait en préambule : « Par exception au principe, rappelé au BOI-PAT-ISF-30-50-10, de l’évaluation des biens imposables à leur valeur vénale, la loi, pour certains biens, a fixé, en matière de droits de succession, des bases légales d’évaluation. Ces bases légales d’évaluation  trouvent à s’appliquer au titre de l’impôt sur la fortune (ISF) sous réserve des règles particulières édictées pour cet impôt ».
.Puis sous un chapitre I intitulé: « Bases légales d’évaluation applicables en matière de droits de succession et d’impôt de solidarité sur la fortune » il précisait au paragraphe 50 : « Bons du trésor, bons de capitalisation et titres assimilés : par analogie avec les règles retenues pour l’assiette du prélèvement sur les bons anonymes, ces bons, lorsqu’ils ne sont pas anonymes, doivent être déclarés pour leur valeur nominale, à l’exclusion des intérêts courus ou non encaissés au 1er janvier de l’année d’imposition ».
Sur ces points également il s’agissait donc de la reprise à l’identique de la doctrine administrative antérieure (doc. de base 7 S 352).
– En revanche, les réponses ministérielles DEPREZ et MATHIEU ci-dessus analysées, ne furent pas reprises initialement sous BOFIP-impôts et se trouvèrent donc  raportées au 12 septembre 2012, comme toute la doctrine administrative antérieure à cette date n’y figurant plus, en application de l’Instruction 13 A-2-12.

 

 

3- la phase d’incertitude:

Les professionnels se sont alors trouvés confrontés à une situation incertaine résultant de la contradiction des deux parties du BOFIP, et de la disparition des réponses ministérielles qui contribuaient par le passé à éclairer le débat sur le champ d’application exact de la tolérance administrative. Les avis étaient partagés sur la conduite à tenir.
Certains praticiens considéraient que la tolérance administrative du BOI-PAT-ISF figurant sous un titre « Bases légales d’évaluation applicables en matière de droits de succession et d’impôt de solidarité sur la fortune » pouvait permettre aux redevables, dans les successions ouvertes à compter du 12 septembre 2012, de déclarer les contrats de capitalisation pour leur valeur de souscription initiale, et donc en excluant tous les intérêts et plus-values capitalisés entre cette souscription et le décès. Ils recommandaient toutefois en général de provisionner le montant de l’impôt de succession ainsi économisé et de faire une mention expresse au BOI-BAT-ISF dans la déclaration de succession.
D’autres, dont nous faisions partie, étaient plus réservés et se demandaient s’il ne s’agissait pas plus d’une ambigüité rédactionnelle que d’une volonté délibérée de la part de l’Administration d’étendre aux droits de succession le champ d’application de la tolérance traditionnelle existant en matière d’ISF . En effet, les termes des BOI ENREGISTREMENT et ISF restaient contradictoires et étaient la reprise pure et simple de la doctrine administrative antérieure. L’administration n’avait donc aucunement modifié les termes de sa doctrine. Or par le passé la tolérance figurait déjà sous un titre relatif à l’ISF et aux droits de succession. Mais l’administration avait alors clairement confirmé que nonobstant ce titre, qui s’expliquait par le fait que les règles d’assiette de l’ISF empruntent leur régime général à celles des droits de succession, la tolérance administrative sur la valeur nominale des contrats de capitalisation ne s’appliquait que pour l’ISF et non pour les droits de succession.
Seule la non reprise au BOFIP des réponses ministérielles  DEPREZ et MATHIEU pouvait donner l’impression d’une évolution. Mais la question était de savoir si elle était délibérée ou non. Sur ce point il fut rapidement confirmé qu’il s’agissait bien d’une simple omission et non d’une décision volontaire. Les services de l’Administration qui gèrent la mise en ligne sur BOFIP, indiquèrent ainsi par écrit à la banque ROTHSCHILD , qui les avait interrogés pour purger le doute, que selon eux, la mention au BOI-PAT-ISF n’avait vocation à s’appliquer qu’en matière d’ISF et non de droits de succession .
La question en pratique était donc de savoir quelle position adopter vis-à-vis des clients. Il paraissait bien sûr nécessaire d’informer les héritiers de l’existence de cette ambiguïté et des différentes interprétations susceptibles d’être retenues. Etait-il judicieux pour les redevables de tenter de déclarer la valeur nominale dans les successions sur la base de cette prétendue doctrine ? Il semblait en effet probable que l’administration n’accepterait pas cette position, qui serait d’autant plus visible qu’une mention expresse attirerait son attention, ce qui provoquerait sans doute un redressement. A cette occasion d’autres questions, telles que la valorisation des actifs immobiliers, pouvaient également donner lieu à vérification et éventuellement à contestation. Par ailleurs on pouvait se demander quelles seront les chances de succès devant le juge de l’impôt ? Il ne nous semblait pas certain que le juge considérerait que la doctrine administrative était suffisamment claire et expresse pour être opposable à l’administration. En effet si sur le principe, le juge ne peut qu’appliquer littéralement la doctrine administrative et non l’interpréter, la jurisprudence montre que parfois il y déroge notamment dans des situations d’ambiguïté ou de contradiction entre paragraphes, ou entre les titres et les paragraphes, et peut alors considérer dans certains cas que les conditions de la garantie contre les changements de doctrine prévue à l’article L 80 A ne sont pas réunies  .
D’un point de vue plus général, on pouvait aussi se demander s’il était bien judicieux de relancer publiquement ce débat, étant rappelé qu’en 2002 le Ministre de l’Economie avait indiqué qu’une réflexion allait être engagée sur la justification même de la tolérance en matière d’ISF. N’était-ce pas prendre de nouveau le risque de la fragiliser?
 
4- la nouvelle clarification
Le 21 janvier 2014, l’administration a de nouveau mis à jour le BOFIP ISF en y intégrant les réponses ministérielles DEPREZ et MATHIEU, et a ainsi mis fin à l’ambiguïté. La situation est donc de nouveau strictement identique à celle existant en 2002 à la suite de la publication desdites réponses ministérielles. Depuis, les praticiens semblent avoir cessé de communiquer sur la possibilité de déclarer dans les successions les contrats de capitalisation pour leur valeur initiale de souscription. La question demeure en revanche posée pour les déclarations qui auront été effectuées entre le 12 septembre 2012 et le 21 janvier 2014 en retenant la position plus favorable aux héritiers.
Pour finir on ne peut que regretter que la mise en ligne sur BOFIP qui avait vocation à simplifier l’accès à la doctrine administrative en la réunissant en un lieu unique, et donc à renforcer la sécurité juridique pour les redevables et leurs conseils, ait ainsi contribué à produire le résultat inverse. Sur le point qui nous occupe elle aura en effet fait réapparaitre des incertitudes qui avaient été réglées par le passé, et entrainera peut être des contentieux qui n’auraient jamais eu lieu sans cela.
De nombreux autres points de la doctrine administrative antérieure au 12 septembre 2012, ne sont pas repris actuellement au BOFIP sans que l’on sache s’il s’agit d’une décision délibérée de l’administration ou d’une omission. Ils demeurent donc actuellement dans le même état d’incertitude . Nous formons le vœu qu’ils soient traités rapidement.
Source : La semaine juridique notariale
Article rédigé par Jean-François DESBUQUOIS, Avocat associé, FIDAL – Membre du cercle des fiscalistes
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