« Nous durcissons la loi de manière considérable et nous l’assumons »

Publié le 19/06/2013

Interview de Raphaël Legendre :
•Yann Galut est député PS du Cher. Il est rapporteur pour la commission des Lois du projet de loi sur la lutte contre la fraude fiscale et grande délinquance financière. Jean-Yves Mercier est avocat associé chez CMS Bureau Francis Lefebvre, en charge de la doctrine fiscale. Il est également membre du Cercle des fiscalistes. Ensemble, ils reviennent sur les principales mesures du projet de loi de lutte contre la fraude fiscale, examiné ce mercredi en séance publique à l’Assemblée nationale.
Vous êtes rapporteur d’un projet de loi durcissant la lutte contre la fraude fiscale. L’arsenal juridique français était-il défaillant ?
Yann Galut : Notre législation était l’une des plus laxistes pour poursuivre la fraude fiscale complexe qui met en oeuvre des trusts, des intermédiaires, des comptes à l’étranger. L’arsenal juridique français ne correspond plus aux techniques modernes de la fraude fiscale internationale. Après le choc Cahuzac, il y a eu une volonté parlementaire et gouvernementale de durcir la loi. Donc oui, nous l’assumons, nous durcissons la loi et de manière considérable.

Quelles sont les nouveautés de ce projet de loi?

 

Yann Galut : Nous créons un délit de fraude fiscale en bande organisée. Cela va permettre de bénéficier de moyens d’investigation extrêmement puissants comme les infiltrations, les écoutes, les filatures ou les gardes à vues prolongées. Deuxième point fort : face au secret bancaire et à l’opacité des paradis fiscaux, nous permettons à nos services d’enquête et à la justice de recueillir des informations en exploitant des fichiers volés, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis, en Allemagne, en Espagne et en Italie. C’est directement lié à l’affaire de liste HSBC et nous l’assumons. Troisième point important, nous créons un statut de lanceurs d’alertes. C’est lié à l’affaire UBS France ou des cadres se sont retrouvés licenciés dans des conditions scandaleuses après avoir dénoncé des anomalies. Quatrième point : nous créons un statut du repenti. Toute personne empêchant une fraude avant qu’elle soit commise et qui aurait participé à l’infraction bénéficiera d’une immunité pénale ou d’une remise de peine de moitié. Nous sommes dans un projet répressif et nous l’assumons. Les 40 à 80 milliards d’euros par an qui disparaissent de France et qui vont dans des paradis fiscaux sont un pillage de l’Etat.
Jean-Yves Mercier : Au regard du but affiché, la lutte contre la fraude fiscale, la loi dote les pouvoirs publics des moyens de faire cesser au plus vite les fraudes en cours. C’est l’apport principal de ce texte. Donner tous ces moyens d’investigation qui permettent à la justice et à l’administration fiscale de mettre fin immédiatement aux opérations de fraude. C’est déterminant dans l’intérêt du public et du Trésor public.


Les mesures annoncées visent-elles juste?

Jean-Yves Mercier : Le juriste peut discuter de la façon dont sont formulées les incriminations qui justifient tout l’arsenal autour de la fraude en bande organisée. Notamment, on voit figurer dans le texte des qualifications qui paraissent un peu faibles au regard du principe de légalité des délits et des peines. Allusion est faite à des sociétés interposées, ce qui n’est pas vraiment une figure du droit. On fait aussi allusion à des domiciles à l’étranger artificiels, ou des sociétés artificielles. Un qualificatif un peu surprenant lorsqu’il s’agit de qualifier une infraction pénale. Que les conseils soient emportés avec les auteurs même des infractions dans la qualification de fraude fiscale, ce n’est pas en soi quelque chose qui me choque. Ce qui peut paraître choquant, c’est d’utiliser l’avocat et le secret de son cabinet pour aller dépister une situation de fraude. La profession d’avocat est toujours vent debout contre les mesures qui tendent à percer le secret qui doit exister dans la relation entre le client et l’avocat.

Yann Galut : La loi et ceux qui appliqueront la loi, du côté de la justice, de la police et de la douane, devront, comme c’est le cas pour les autres infractions pénales, respecter le secret professionnel des avocats. Mais il faut être clair. Je n’imagine pas, étant moi-même avocat de formation, qu’un avocat participe à une infraction. La frontière va être difficile, il va falloir que la profession réfléchisse à la différence entre la notion de fraude fiscale et la notion d’optimisation fiscale. Nous savons que des avocats participent à des dispositifs de fraude fiscale mails ils sont ultra-minoritaires. Je fais confiance aux avocats fiscalistes pour qu’à partir de cette loi, ils puissent organiser leurs conseils dans le cadre des nouvelles dispositions. Ce qui peut être problématique, c’est un client sous le coup d’une enquête pour fraude fiscale nous disant « c’est mon avocat qui m’a conseillé de procéder ainsi ». Il va donc falloir que les avocats fiscalistes se prémunissent de manière préventive en faisant des lettres de réserves indiquant qu’il s’agit de montages d’optimisation fiscale et pas de la fraude fiscale.
Jean-Yves Mercier : Je souscris totalement. Un avocat doit être prudent comme un sioux. Mais je peux vous citer l’exemple de cette affaire pendante devant les juridictions fiscale et pénale : un cabinet confrère a donné un avis pour bénir un schéma qui a produit des effets économiques très favorables pour les personnes qui étaient favorisées par ce schéma. La suite des événements a malheureusement donné tort à ce confrère puisque les personnes en question ont été redressées. Elles sont allées recueillir l’avis du comité des abus de droit qui a approuvé l’incrimination d’abus de droit lancé par l’administration. Et dans la foulée, la commission des infractions fiscales a été saisie, l’administration a porté plainte et ces gens sont aujourd’hui poursuivis par la justice. Un fiscaliste a cru pouvoir donner son blanc-seing à une opération qui s’est révélée particulièrement fructueuse, mais il l’a fait en toute candeur.
Yann Galut : Nous allons améliorer ce dispositif dans de futures dispositions législatives. Je suis favorable, comme c’est le cas aux Etats-Unis ou en Angleterre, à ce que les professionnels du droit déclarent préalablement à l’administration fiscale les schémas complexes qu’ils proposent. Parce que çà les protège aussi. Dès qu’il a le blanc-seing de l’administration, il ne peut pas être accusé d’avoir participé à de l’évasion fiscale. Le sujet, technique et complexe, sera débattu mais abordé plus tard, dans un deuxième temps. Peut-être au Sénat. Les règles doivent être claires pour les avocats, leurs clients et l’administration fiscale. Cette mesure permettra de lever les doutes et de protéger les professionnels du droit.


Vous êtes favorable à cette mesure ?

 

Jean-Yves Mercier : Je ne suis pas favorable à l’obligation de révélation des schémas d’optimisation fiscale, mais je note que l’administration fiscale vient de lancer une nouvelle procédure baptisée « la relation de confiance ». Elle va proposer à un certain nombre d’entreprises volontaires d’établir une vérification de la situation fiscale au moment même de l’établissement de ces déclarations, la contrepartie étant pour l’entreprise d’être complètement transparente. Elle devra notamment communiquer à l’administration toutes les lettres de confort reçues de ses avocats.

Yann Galut : C’est pour cela que le gouvernement nous dit que ce ne sera pas dans ce texte-là. Nous sommes en train de bâtir une relation de confiance avec les entreprises. La petite divergence que je peux avoir avec le gouvernement sur le sujet, c’est que çà ne concerne que les entreprises volontaires. Je souhaite que cela soit étendu à l’ensemble des entreprises.

Source : L’Opinion du 19 juin 2013

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