MINISTERE DE LA JUSTICE : un budget 2021 historique ? ​

Publié le 10/11/2020

Face à une simili bronca de la magistrature, le Garde des Sceaux, au cours d’une audition devant la commission des lois de l’Assemblée Nationale, a fait observer – à juste titre – que pour la première fois depuis plus de 25 ans le budget de son ministère allait connaître en 2021 une hausse de 8 %.

Hélas, cette information n’a pas ramené le calme chez les Magistrats.

De nombreux observateurs, de toute tendance politique estiment que cette hausse spectaculaire ne pourra pas empêcher la « clochardisation » de notre système judiciaire comme le prédisait un ancien Garde des Sceaux, Monsieur Jean-Jacques Urvoas.

Un simple rattrapage budgétaire

Ils rappellent que ce projet de budget constitue, pour partie seulement, un simple rattrapage par rapport aux objectifs fixés par la loi de programmation et de réforme de la Justice : c’est exact. En effet, le budget de 2020 s’est élevé à sept milliards cinq cent mille euros alors qu’il aurait dû s’élever à sept milliards sept cent mille euros.

En outre, la publication, le 20 octobre 2020, du rapport de la Commission Européenne pour l’efficacité de la Justice, leur confirme la dégradation permanente de notre système judiciaire.

 

Un budget de la Justice inférieur aux autres pays européens

 

Tous les indicateurs publiés dans ce rapport sont quasiment défavorables à la situation française : ainsi, le budget alloué au Ministère de la Justice en France par rapport au nombre d’habitants est inférieur à celui alloué dans la plupart des autres pays européens comme par exemple l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la Grande-Bretagne, la Norvège, les Pays-Bas, la Suède, la Suisse, etc.

A titre d’exemple, prenons certains postes de ce budget :

  • La rémunération allouée en 2016 aux magistrats de la Cour de Cassation s’élève en France à
    119.000 € par an contre 331.000 € en Suisse, 250.000 € en Grande-Bretagne, 200.000 € au Danemark, 186.000 € en Italie, etc.
  •  La France consacre moins de 10 % du budget du Ministère de la Justice à l’aide juridictionnelle contre 21 % en Finlande, 28 % en Suède, 35 % en Irlande et 38 % en Norvège, etc.

Ce budget consacré à l’aide juridictionnelle s’élevait en France en 2016 à trois cent soixante millions d’euros contre sept cent vingt-cinq millions d’euros en Allemagne.

Les détracteurs du Ministre actuel de la Justice, Monsieur Eric Dupond-Moretti, font observer que la France consacre à l’aide juridictionnelle 7,16 € par habitant contre une moyenne de 14,59 € dans les pays européens économiquement développés comparables à la France.

En résumé, la France en 2018 a consacré 69 € par habitant pour le Ministère de la Justice contre 130 € en Allemagne et une moyenne européenne de 71,56 €.

Aussi, en conclusion, on est obligé de reconnaître que malheureusement le budget 2021 de la Justice ne permettra pas à la France d’avoir un budget équivalent à ses homologues européens.
A la décharge du gouvernement actuel, on peut légitimement se demander s’il serait possible de faire beaucoup mieux que ce coup de pouce de 8 % dans le contexte sanitaire économique exceptionnel actuel avec un Etat dont l’endettement atteint 120 % de son PIB et dont le déficit étatique en 2020 dépassera les 10 % avec des dépenses publiques atteignant 64 % de son PIB et des prélèvements fiscaux et parafiscaux parmi les plus élevés au monde.

Des leviers pour éviter la paupérisation du système judiciaire

Cependant, on peut – et on doit – vérifier si on a vraiment utilisé tous les leviers et mécanismes possibles pour éviter cette paupérisation progressive de notre système judiciaire.

Si on se veut pragmatique et non idéologue, on découvre qu’il existe des solutions utilisées par la quasi-totalité des pays européens tant au niveau des recettes que des dépenses.

Depuis la Constitution de 1791, le principe de la gratuité du recours à la Justice fait partie de l’ADN de notre pays.

Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, un « coup de canif » lui a été porté sur la suggestion de la Fédération des métiers du droit de la Justice de l’UMP composée de magistrats, de notaires, d’avocats, d’huissiers et de professeurs de droit.

A partir d’octobre 2011, tout judiciable ne relevant pas de l’aide juridictionnelle et en dehors de tout procès relevant du droit pénal, était assujetti à une taxe de 35 € pour avoir accès à la justice.

100 millions d’euros de recettes perdues

Malheureusement, en 2012, Madame Christiane Taubira, dès sa prise de fonctions en tant que Garde des Sceaux, a supprimé cette recette qui devait assurer au ministère de la Justice sur une année civile en rythme de croisière, une recette de de l’ordre de cent millions d’euros ; recette affectée à l’aide juridictionnelle, ce qui aurait contribué à l’augmentation de celle-ci de plus de 20 % de son budget.

Cette suppression a été réalisée sous prétexte que la Justice est un service public auquel tout citoyen doit pouvoir avoir accès gratuitement.

Cet argument historique est purement idéologique.

Les hôpitaux publics assurent également une mission de service public mais pourtant ils sont payants par le biais du ticket modérateur.

Autre exemple avec l’eau potable, service public assumé soit par un concessionnaire de service public soit par une régie municipale, et pourtant l’eau potable est facturée au consommateur.

Pour une facturation de la Justice proportionnelle aux revenus

En outre, il faut rappeler que la quasi-totalité de nos pays voisins (à l’exception de l’Espagne)
– notamment l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse – ont mis en place un système de facturation proportionnel aux revenus pour avoir accès à la Justice. Ce sont pourtant des démocraties similaires à la nôtre.
Dans ces pays, ce financement assure une partie importante du budget de la Justice. Ainsi, en Allemagne, cela représente 43 % du budget, et en Autriche 117 %, ce qui signifie que le budget de la Justice en Autriche est excédentaire.

Augmenter le nombre de bénéficiaires de l’aide juridictionnelle

L’instauration d’une taxe pour avoir accès à la Justice permettrait ainsi d’augmenter de façon substantielle le budget notamment de l’aide juridictionnelle et en même temps, de rémunérer de façon décente les milliers d’avocats qui, à ce titre, assistent et défendent chaque année plus de 900.000 justiciables. Cela permettrait également d’augmenter le nombre de bénéficiaires de l’aide juridictionnelle pour se mettre aux standards européens.

En effet, il faut rappeler que le niveau de revenus permettant de bénéficier de l’aide juridictionnelle est beaucoup plus bas en France que dans la plupart des pays voisins comme l’Allemagne, le Danemark, la Grande-Bretagne, la Norvège, les Pays-Bas, la Suisse.

Faciliter l’accès de la classe moyenne à la Justice

Le seuil extrêmement bas fixé en France ne permet pas – contrairement aux démocraties voisines – à la classe moyenne d’avoir un accès gratuit à la Justice.

Voilà un exemple de recettes qui fonctionne ailleurs et qui pourrait être introduit en France sans véritable révolution.

Qu’en est-il au niveau des dépenses ? Est-il possible de les diminuer ?

Là encore, il faut se tourner en premier lieu vers les exemples étrangers.

Externaliser certaines fonctions

On constate ainsi que dans la quasi-totalité, nos voisins (tels que l’Allemagne, la Belgique et à la Suède) ont externalisé un certain nombre de fonctions dans les domaines de l’informatique, de l’archivage, de l’entretien des bâtiments, et ont progressivement diminué le nombre de personnes non affectées à la fonction du Juge.

Prenons un autre exemple, en France même : les tribunaux de commerce dont le fonctionnement ne coûte rien au Trésor Public puisque les greffes sont détenus par des greffiers exerçant une profession libérale.

Ne peut-on pas imaginer une solution comparable pour les greffes des tribunaux judiciaires ?

Suivre l’exemple des Tribunaux de Commerce

A partir de ces exemples étrangers et de l’exemple de nos Tribunaux de Commerce, il serait peut-être temps de mettre fin à l’accès gratuit à la Justice et mettre fin à l’obligation de n’avoir que des fonctionnaires pour faire fonctionner la machine judiciaire.

Aucune étude n’a été faite à ce jour sur ce point. Pour quelles raisons ? C’est un tabou qui ne repose sur aucune vérité scientifique ou philosophique.

Il est impossible de continuer de la façon actuelle :

  • magistrats mal rémunérés,
  • équipements informatiques insuffisants,
  •  aide juridictionnelle réservée à un trop petit nombre de justiciables,
  • avocats rémunérés de façon indécente.

Des rédacteurs du Code Civil de 1804 doivent se retourner dans leurs tombes eux qui, voici près de 200 ans, ont su exporter dans toute l’Europe et même sur d’autres continents le modèle judiciaire français.

Mais il faut prendre garde : la Justice fait partie des pouvoirs régaliens de l’Etat. C’est le 3ème pouvoir cher à Montesquieu.

La déliquescence de ce pouvoir peut avoir des conséquences dramatiques.

« N’oublions pas que lorsque le peuple cesse de comprendre et d’estimer, il peut cesser d’obéir. »

 

Maître Bernard MONASSIER
Notaire Honoraire
Vice-Président du Cercle des Fiscalistes

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