Le législateur aurait-il déjà oublié en novembre l’existence du bouclier fiscal révisé par ses soins trois mois plus tôt ?
On serait porté à le croire au vu des décisions que le projet de loi du financement de la sécurité sociale pour 2008 vient d’adopter dans le domaine des stock options et des attributions gratuites d’actions.
Une contribution sociale patronale est instituée par ce texte sur la valeur des options accordées aux salariés et dirigeants, de même que sur la valeur des actions attribuées gratuitement. Son fait générateur est la décision d’octroi de ces avantages. Cette contribution a vocation à peser rétroactivement sur les attributions accordées à compter du 16 octobre 2007.
Les bénéficiaires des options et des attributions gratuites sont appelés à être eux aussi soumis à une contribution sociale spéciale le jour où ils tireront profit des attributions qui leur auront été faites à compter du 16 octobre 2007. Cette contribution de 2,50 % aurait pour base de calcul, s’agissant des options, le montant de la plus-value d’acquisition devenue imposable sous l’effet de la cession des titres, et, s’agissant des actions gratuites, la valeur que comportaient les actions lors de leur attribution.
La nouvelle contribution emprunte les règles d’assiette et d’exigibilité des prélèvements sociaux (CSG, CRDS et prélèvement social, total 11 %) auxquels sont déjà soumis les profits concernés. Ces règles sont celles fixées par l’article L136-6 du Code de la sécurité sociale pour les revenus du patrimoine. Au sein de cette famille de revenus, qui est notamment celle des revenus fonciers et des revenus mobiliers, les profits d’options et d’AGA ont donc été jugés devoir mériter un sort spécial. Cette différenciation est-elle bien justifiée sous l’angle constitutionnel ?
On pourrait avancer que sous leur habit de revenus du patrimoine, ces profits représentent un avantage salarial se prêtant à une taxation renforcée. Mais il se trouve que l’article L136-6 précité a expressément écarté cette qualification ( même lorsque le titulaire des stock options demande à se faire imposer suivant le régime des salaires : art.8 XXI de la loi TEPA du 21 août 2007), et cela, non par clémence, mais au contraire pour éviter que les profits en cause ne profitent de la CGS plus faible des revenus d’activité (7,5 % au lieu de 8,2 %) et de la dispense du prélèvement social de 2,3 % . Revenus du patrimoine ils sont. La solidarité ne peut donc valablement être invoquée pour faire peser sur eux une charge spécifique sans rapport avec l’objet des ponctions sociales opérées sur les revenus classés dans la catégorie, tous reliés à la détention de droits en capital. Voilà qui pourrait être une première source d’embarras pour le Conseil constitutionnel si, comme il s’est plu à le faire récemment, il s’invitait dans le contrôle du respect par la mesure en cause des exigences forgées par sa jurisprudence.
Mais là n’est pas le seul point d’ombre jeté par la disposition nouvelle. Par cette contribution, le législateur élargit la gamme des impositions directes assises sur le revenu. Sauf à ouvrir une première brèche dans le bouclier fiscal sorti renforcé du vote de la loi d’août dernier, il aurait dû veiller à faire figurer cette contribution dans l’énumération des impositions restituables, ce qu’il s’est gardé de faire. Le Conseil constitutionnel a déclaré solennellement en 2005 que la limitation de la pression fiscale, loin de méconnaître l’égalité devant l’impôt, tend à éviter une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. L’omission relevée paraît donc être en elle-même de nature à entraîner une censure constitutionnelle.
Or, même ce manque étant réparé, la disposition nouvelle pose une autre difficulté, inédite. Lorsqu’ils atteignent une certaine importance, les profits sur stock options visés par la contribution spéciale relèvent d’une imposition forfaitaire de 40 % au titre de l’impôt sur le revenu, sur laquelle se greffent les prélèvements sociaux s’élevant à 11 %. A ce niveau, la pression fiscale qui s’exerce sur le revenu en cause (et qui risque de se propager sur l’ensemble du revenu annuel des contribuables à l’égard desquels ce revenu sera prépondérant) dépasse déjà la limite de 50 % que retient le bouclier fiscal révisé. Cette situation est le produit d’une succession de relèvements décidés avant la loi d’août 2007, à un moment par conséquent où le législateur n’était encore pas contraint dans son choix des taux. Mais, en novembre 2007, il est loin d’être sûr que la décision d’élever de 51% à 53,5% le taux de l’imposition directe potentiellement due sur un revenu déterminé respecte l’interdiction constitutionnelle des prélèvements confiscatoires en application de laquelle la loi a prévu que les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 50 % de ses revenus. Cette décision paraît en tout état de cause manquer à l’exigence de rationalité commandée à la loi, car prélever une imposition que l’on sait avoir toutes chances, dans bon nombre de situations, de devoir être remboursée au contribuable revient plutôt à alourdir les charges publiques (coût administratif du recouvrement puis de la restitution) qu’à enrichir la collectivité…
Le bouclier fiscal avait déjà la vertu, on le sait, de dédommager les victimes d’un excès de leurs charges fiscales. S’il pouvait avoir en outre celle de freiner le législateur dans ses tentatives d’élargissement du cercle des victimes, la boucle serait bouclée. L’occasion se présente de lui reconnaître cette seconde vertu. Aux Sages de décider.
Source : Les Echos – édition du 11 décembre 2007, p. 19
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