Le débat actuel sur l’opportunité de créer un impôt sur le revenu (IR) pour tous ouvre une boîte de Pandore dont s’extrait le projet de fusionner l’IR et la contribution sociale généralisée (CSG), la question centrale étant de savoir lequel des deux absorbe l’autre, avec des conséquences différentes selon le cas.
La CSG est une imposition proportionnelle alors que l’IR est un impôt progressif. La CSG frappe les revenus en se désintéressant (sauf rares exceptions) de la situation individuelle et du niveau de revenu de la personne qui les réalise. L’IR est adapté aux capacités contributives du titulaire du revenu, appréciées selon son niveau de revenu et ses charges de famille.
La CSG est une imposition compartimentée. Elle frappe au premier euro tout revenu quelle que soit sa catégorie (salarié, financier, foncier…), sans considération des déficits constatés au sein d’une autre catégorie. Ainsi, le commerçant dont l’activité professionnelle est déficitaire une année donnée supportera pleinement la CSG sur ses revenus patrimoniaux. De même, un contribuable qui constate un déficit dans la catégorie des revenus fonciers n’est en aucune façon déchargé de la CSG sur ses revenus d’activité, ses intérêts ou ses dividendes.
A l’inverse, l’IR est en principe établi sur la somme des revenus et déficits constatés la même année au sein des diverses catégories de revenus, et cette compensation s’opère à l’échelon du foyer fiscal.
La CSG ne comporte que quelques rares exonérations. L’IR en est truffé. Ce sont les niches fiscales. Leur nombre (500) et leur poids (100 milliards d’euros par an) sont tels que l’IR s’apparente aujourd’hui à un gruyère dont les trous seraient plus importants que la masse consommable.
A l’égard de certains revenus, la CSG a une assiette plus large que l’IR. En ce qui concerne les salaires, elle frappe la rémunération brute, réduite seulement d’une déduction forfaitaire de 1,75 %.
Pour le calcul de l’IR, on applique au montant brut de la rémunération la déduction représentative de la part salariale des cotisations de retraite et de prévoyance, la déduction de 6,8 points de CSG, puis la déduction représentative des frais professionnels (frais réels ou forfait de 10 %). Au total, il n’est pas rare que la rémunération donnant prise à l’IR ne dépasse pas 80 % du montant de la rémunération brute alors que la CSG l’aura frappée sur 98,25 %. La même constatation peut être faite en ce qui concerne les revenus du patrimoine ou les produits de placement. Ainsi, l’abattement de 40 % sur les dividendes est ignoré pour le calcul de la CSG.
Ces spécificités donnent un aperçu de la difficulté qu’il y aurait à unifier la CSG et l’IR.
Premier cas : On souhaite conférer un caractère progressif à l’impôt unifié, ce qui revient à dire que l’IR « absorbe » la CSG.
Les principes constitutionnels commandent alors que la capacité contributive du contribuable s’apprécie à partir du niveau de ses revenus. Or le passage à une taxation entièrement progressive de sommes qui ont jusqu’à présent subi le traitement mixte (proportionnel et progressif) ne peut s’opérer sans entraîner des transferts de charges entre les différents contribuables, à l’avantage de certains et en défaveur des autres. Le passage à l’impôt progressif unifié exige que l’on tienne compte d’un revenu net déterminé après compensation entre les revenus positifs et négatifs. En « absorbant » la CSG, le nouvel impôt effacerait ainsi mécaniquement une fraction de l’assiette de celle-ci.
Les écarts observés sur le périmètre des exonérations soulèvent une difficulté supplémentaire car dans la perspective de l’adoption d’un impôt unifié, ces divergences doivent nécessairement disparaître. Question : se coulera-t-on dans le moule de la CSG, ce qui apporterait une manne aux finances publiques, ou dans celui de l’IR, ce qui aurait un effet récessif ?
L’actuelle surimposition des revenus du patrimoine, qui supportent les prélèvements sociaux au taux de 17,2 % au lieu de 9,7 % au plus pour les revenus d’activité ou de remplacement, ne pourrait pas être maintenue dans le cadre d’une taxation globale à l’IR car, au regard d’un tel impôt, l’appréciation de la capacité contributive ne peut dépendre que du niveau des revenus et non de leur nature. Ce serait là encore un gisement de pertes budgétaires.
Enfin, l’unification envisagée viendrait aggraver la situation des contribuables qui échappent aujourd’hui à la CSG sur leurs revenus d’activité en application de la règle suivant laquelle ces revenus ne doivent donner prise à la CSG que si leur titulaire est à la charge d’un régime obligatoire français d’assurance maladie. Cette aggravation frapperait notamment les travailleurs frontaliers qui, tout en résidant en France, sont affiliés à la sécurité sociale du pays riverain.
Deuxième cas : on se résout à faire de l’impôt unifié une imposition proportionnelle, ce qui revient à dire que la CSG « absorbe » l’impôt sur le revenu et donc à créer une « flat tax ».
Cette formule conduit à établir l’impôt sur une base élargie et, pour lui faire produire une recette de même niveau que celle résultant des deux impositions d’origine, à lui fixer un taux qui, suivant la situation du contribuable, sera plus élevé (revenus modestes) ou plus modéré (revenus élevés) que celui qui résulte de l’addition des taux respectifs actuels de l’IR et de la CSG.
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In fine, les deux scénarios sont porteurs de difficultés majeures. Ils créent tous deux des transferts de charges dont l’ampleur ne peut être mesurée à l’échelon individuel. L’évaluation globale de leurs effets est elle-même très difficile à établir, ce qui rend particulièrement délicate la fixation du taux ou des taux que l’impôt unifié devrait comporter pour produire la recette attendue de lui.
On mesure l’ampleur du risque que prendrait le législateur à décider la mise en œuvre brutale d’une réforme aux effets aussi incertains. Un tel projet ne peut aboutir que par une succession de petits pas dont le premier consisterait à harmoniser les assiettes, spécialement en supprimant les niches fiscales d’une utilité sociale non avérée.
Depuis la nuit du 4 août et l’abolition des privilèges, l’égalité devant l’impôt demeure au cœur de notre vie publique. Selon les derniers travaux de l’Insee, avant transferts, les ménages aisés (10 % de la population) ont un revenu 18 fois plus élevé que celui des ménages pauvres, contre 1 à 3 fois après transferts…
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Olivier DAUCHEZ et Frederic VALENTIN, membres du Cercle, ont présenté l'enjeu fiscal de l'Exit-Tax dans le cadre d'une mobilité géographique en Italie.
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