L’imposition des dividendes à compter de 2008 – Une réforme complexe

Publié le 23/11/2007

Par Emmanuelle Féna-Lagueny et Jean-Yves Mercier, avocats, CMS Bureau Francis Lefebvre, département Doctrine fiscale.

1 – L’article 6 du projet de loi de finances pour 2008, tel qu’il vient d’être adopté par l’Assemblée nationale, comporte deux mesures relatives à l’imposition des dividendes et distributions assimilées revenant à des particuliers :

  • les prélèvements sociaux sur ces produits seront, à compter du 1er janvier 2008, prélevés à la source, au lieu d’une imposition établie par l’administration l’année suivant celle de l’encaissement du revenu.
  • les bénéficiaires des produits encaissés à compter de cette date pourront opter pour un prélèvement de 18 %, en lieu et place de l’impôt progressif sur le revenu.

Parallèlement à cette mesure, le taux du prélèvement forfaitaire sur les intérêts sera porté de 16 % à 18 % à compter du 1er janvier 2008.

2 – Nous examinons ci-après l’impact de la réforme du régime des dividendes du point de vue de l’actionnaire, premier concerné, puis du point de vue de la société versante.

 

I. Du point de vue de l’actionnaire

3 – La faculté d’opter pour le prélèvement libératoire en lieu et place de l’impôt au barème progressif est l’aspect le plus marquant de la réforme.
Mais l’actionnaire ne devra pas négliger l’impact du versement à la source des prélèvements sociaux.

L’option pour le prélèvement sur dividendes

A qui s’adresse la mesure ?
4 – L’option pour le prélèvement sera ouverte à tous les bénéficiaires de dividendes et autres distributions assimilées, à l’exception notable des personnes ayant détenu, directement ou indirectement, avec leurs conjoints, leurs ascendants et descendants, plus de 25 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société distributrice, à un moment quelconque au cours des cinq années précédant le paiement des revenus.
L’option pourra concerner toutes les sommes ouvrant droit à l’abattement de 40 % en application du 2° du 3 de l’article 158 du CGI : dividendes proprement dits, réductions de capital excédant le simple remboursement d’apports, rachats d’actions, boni de liquidation.
Les dividendes reçus des sociétés étrangères ouvriront droit au prélèvement.

5 – Pour apprécier l’intérêt de l’option, on doit rappeler que, pour leur imposition au barème, les dividendes font l’objet des traitements suivants :

  • Abattement de 40 % ,
  • Déduction d’une partie de la CSG fixée à 5,8 % du montant brut du dividende (cette déduction étant appelée à s’opérer à partir de 2008 sur le revenu de l’année même d’encaissement du dividende du fait de l’instauration du prélèvement à la source de cette contribution),
  • Abattement de 3 050 € pour un couple (1 525 € pour une personne seule) calculé sur la somme nette restant imposable après l’abattement de 40 % et la déduction de la CSG,
  • Crédit d’impôt de 50 % plafonné à 230 € pour un couple (115 € pour une personne seule).

L’impôt au taux forfaitaire de 18 % sera calculé sur le dividende brut.
Les dividendes compris dans la tranche d’imposition de 30 % donnent lieu à une imposition effective qui ne peut jamais excéder 16,26 % (30 % d’un dividende de 100, pris en compte pour 54,2 % de son montant seulement).
Les contribuables soumis au taux marginal de 40 % supportent sur leurs dividendes soumis au barème à ce taux une imposition effective de 21,68 %. Eux seuls auront donc intérêt à opter.

A partir de quel montant de dividendes devient-il raisonnable d’opter ?
6 – Formellement, l’option s’exercera à l’occasion de chaque encaissement. Mais le texte est ainsi rédigé que le choix pour le prélèvement devra en fait être global. En effet, l’option exercée même une seule fois, et quel que soit le montant sur laquelle elle porte, prive le contribuable pour tous ses autres dividendes et distributions assimilées de l’année de l’abattement de 40 % et de l’abattement forfaitaire de 3 050 € pour un couple (1 525 € pour une personne seule).
Pour autant, les dividendes ne bénéficieront effectivement du taux de 18 % qu’à la condition que leur bénéficiaire ait formellement opté, avant chaque distribution.
L’option ne pouvant s’exercer a posteriori, c’est donc dès la perception de la première ligne de dividendes de l’année que le contribuable intéressé devra prendre la décision d’opter.
Encore faudra-t-il qu’il y ait intérêt. Selon nos calculs, l’option pour le prélèvement n’aboutit à un impôt inférieur à l’impôt progressif au taux marginal de 40 % qu’au-delà d’un niveau annuel de dividendes de 39 400 € pour un couple, et de 19 700 € pour une personne seule.
C’est donc seulement s’il s’attend à percevoir un montant atteignant au moins les seuils ci-dessus que le bénéficiaire des dividendes aura intérêt à opter. Le paiement de l’impôt sera alors immédiat, alors que l’impôt progressif n’est exigé que l’année suivante.

Les imperfections de la mesure

Irrévocabilité de l’option
7- L’option est déclarée irrévocable. Or une décision éclairée suppose que le contribuable soit certain, dès la perception des premiers dividendes, qu’il sera bien imposé au taux marginal de 40 % et qu’il percevra bien un montant de dividendes d’au moins 39 400 € pour un couple (la moitié pour une personne seule). Cette rigidité encourt le risque d’être déclarée anticonstitutionnelle, car contraire au principe dégagé par le Conseil constitutionnel le 29 décembre 2005 (n° 2005-230 DC), selon lequel « Au regard du principe d’égalité devant l’impôt, la justification des dispositions fiscales incitatives est liée à la possibilité effective, pour le contribuable, d’évaluer avec un degré de prévisibilité raisonnable le montant de son impôt selon les diverses options qui lui sont ouvertes. »
Un amendement présenté devant le Sénat devrait fort heureusement permettre au contribuable qui a opté de renoncer à son option au vu du bilan de l’année écoulée.

Un montant parfois excessif
8 – L’option joue donc en pratique globalement, non seulement sur les dividendes mais aussi sur les distributions assimilées ouvrant droit à l’abattement de 40 %. Lorsqu’il s’agit d’un rachat d’actions par la société ou d’un boni de liquidation, l’impôt progressif est en tout état de cause limité à la différence entre la somme reçue de la société et le prix d’acquisition du titre. Cette correction, inscrite à l’article 161 du CGI, ne trouve pas d’équivalent en matière de prélèvement de 18 %.
Le contribuable qui aurait décidé d’opter pour le prélèvement, parce que ses dividendes et son taux marginal d’imposition sont suffisants, et recevrait en sus de ses dividendes un revenu correspondant au rachat de certaines de ses actions devra-t-il se résoudre, pour ce revenu particulier, à choisir entre deux maux : payer 18 % sur la totalité des sommes qui lui sont remises, ou rester, pour ce revenu précis, sous le régime de l’impôt sur le revenu, en acquittant l’impôt sur la différence entre la somme reçue et le prix d’acquisition mais sans application de l’abattement de 40 % ni de celui de 3 050 € ? Cette alternative nous paraît particulièrement choquante.

Vis-à-vis des non-résidents
19 – Le législateur a prévu de ramener de 25 % à 18 % le taux de la retenue à la source de l’article 119 bis du CGI, qui fait office d’impôt sur le revenu, pour les non-résidents communautaires.
Il entend ainsi montrer sa volonté de se conformer au principe de droit communautaire selon lequel l’impôt réclamé à un non-résident communautaire ne peut excéder l’impôt dû par un résident.
En réalité, la loi se montre là moins généreuse que les conventions signées avec les Etats européens, qui toutes, hormis celle avec la Grèce, font descendre à 15 % au plus le taux de la retenue. Or, même à ce taux réduit de 15 %, la retenue, en ce qu’elle s’applique à 100 % du dividende, contre un impôt assis sur 54,2 % du dividende lorsqu’il est versé à un résident, aboutit potentiellement à une surimposition prohibée.
Enfin à l’égard des non-résidents non communautaires, la retenue, maintenue (sauf convention) au taux de 25 %, contrevient à l’interdiction communautaire des restrictions en matière de mouvements de capitaux, de même qu’à l’interdiction des discriminations contenue dans la convention européenne des droits de l’homme.

Le versement à la source des prélèvements sociaux

A qui s’adresse la mesure ?
10 – Si le prélèvement sur dividendes est une mesure optionnelle, réservée en définitive à une minorité d’assujettis, le prélèvement à la source des prélèvements s’appliquera dès 2008 à tous les particuliers qui reçoivent des dividendes et revenus assimilés, sauf sur les dividendes de leurs titres inscrits dans un PEA. Rappelons que, pour ces derniers, les prélèvements sociaux sont dus sur les sommes retirées du PEA, à hauteur des bénéfices accumulés sur le plan : exiger les prélèvements sociaux lors du versement aboutirait à une double imposition.
Les versements aux personnes morales et aux FCP ne seront pas soumis à ce prélèvement à la source.

Les imperfections de la mesure

Le montant
11 – Comme pour le prélèvement de 18 %, le législateur ignore les spécificités des distributions assimilées à des dividendes, à savoir principalement les rachats d’actions. Le bénéficiaire des rachats d’actions (mais la situation est la même en ce qui concerne les bonis de liquidation) devra donc indiquer à la société, préalablement au versement, le montant imposable à soumettre aux prélèvements (différence entre la somme reçue de la société et le prix d’acquisition du titre) ou se résigner à réclamer ensuite la correction de la surimposition dont il aura été victime.

Le paiement est immédiat
12 – Une différence de traitement fiscal est, de fait, instaurée entre les contribuables soumis à un prélèvement immédiat, et ceux qui bénéficient d’un report d’imposition, en raison d’une disposition législative (PEA) ou du fait que la distribution émane d’une société étrangère.

 

II. Du point de vue de la société versante


L’option pour le prélèvement sur dividendes

13 – Les sociétés et établissements payeurs verseront, selon le cas, des dividendes nets de prélèvement sociaux, ou ces dividendes nets amputés en outre du prélèvement libératoire de 18 %, sur option de l’actionnaire. Dans ce dernier cas, il leur reviendra de verser directement au Trésor le prélèvement de 18 %.
Les sociétés devront aussi, selon nous, porter à la connaissance de leurs actionnaires, ne serait-ce que dans leurs résolutions, l’existence de ce choix fiscal nouveau.

14 – En cas de distribution assimilée à un dividende (rachat d’action ou boni de liquidation) pour laquelle l’option pour le prélèvement aura été exercée, la société versante n’aura d’autre solution que de soumettre au prélèvement la totalité de la somme distribuée, sans possibilité de limiter le prélèvement à la différence entre la somme versée et le prix d’acquisition du titre.

Le versement à la source des prélèvements sociaux

A qui s’adresse la mesure ?
15 – Les prélèvements sociaux devront être retenus à la source par la société versante ou l’établissement payeur pour être immédiatement versés au Trésor.
Mais cette mesure est réservée aux distributions faites aux personnes physiques dont les titres ne sont pas inscrits dans un PEA.

Comment s’établit le calcul ?

16 – La société n’aura d’autre choix, sauf information préalable par son actionnaire (voir n° 11), que de retenir les prélèvements sociaux sur la totalité des sommes versées, même si ces dernières excèdent le montant soumis à l’impôt sur le revenu.

17 – Il ne s’agit là que d’un premier inventaire des nombreuses difficultés soulevées par le nouveau dispositif. Ce dernier gagnerait à recevoir quelques améliorations et simplifications dans la suite des débats.

Source : Feuillets rapides Editions Francis Lefebvre 52/07 (paru le 23/11/07)

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