Article paru le 19 Novembre 2019 dans « Le Monde »
L’Assemblée nationale a voté en première lecture la fin de la possibilité d’étalement sur quatre ans des indemnités perçues dans ces circonstances, explique Jean-Yves Mercier, avocat honoraire, membre du Cercle des fiscalistes.
Aujourd’hui, les salariés qui partent volontairement à la retraite en dehors du cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi sont imposables sur le montant total de l’indemnité qu’ils perçoivent. Ceux qui sont mis à la retraite par leur employeur bénéficient d’une exonération qui, dans un certain nombre de situations, ne couvre qu’une fraction seulement de leur indemnité.
Le revenu imposable de l’année du départ se trouve alors augmenté d’une somme qui, en raison du caractère progressif du barème, élève le taux effectif d’imposition du foyer à un niveau supérieur à ce qu’il était ordinairement.
Pour atténuer ce ressaut, la loi offre actuellement au salarié partant volontairement à la retraite le choix entre deux formules suivantes :
Le salarié mis à la retraite n’a droit au système du quotient (première formule ci-dessus) que si la fraction imposable de son indemnité dépasse la moyenne de ses revenus imposables des trois années précédentes. Cette situation se rencontre rarement. A défaut, il ne dispose que de la faculté d’étaler sur quatre ans l’imposition de cette fraction imposable (seconde formule).
Application à partir du 1er janvier 2020
Un aménagement est introduit par la loi de finances pour 2020 en cours d’examen. L’article 7 du projet de loi de finances pour 2020, tel qu’il vient a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, prévoit de mettre fin à la possibilité d’étalement sur quatre ans de l’une et l’autre des deux indemnités susvisées, mais de n’y mettre fin que pour les indemnités qui seront perçues à compter du 1er janvier 2020.
Aspect positif de la mesure, les contribuables qui, en 2018 ou antérieurement, ont encaissé des indemnités qu’ils avaient choisi de soumettre au régime de l’étalement continueront jusqu’à son terme le rattachement par quarts de l’indemnité imposable. Leur situation n’est donc pas affectée par la réforme.
Les bénéficiaires d’une indemnité perçue en 2019 auront encore le droit de se prévaloir du régime d’étalement. Du fait de l’instauration du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, l’employeur aura appliqué à cette indemnité une retenue correspondant au taux effectif d’imposition de son salarié pour l’année 2017 (indemnités versées au cours de la période 1er janvier 2019 – 31 août 2019) ou à son taux effectif d’imposition pour l’année 2018 (période septembre – décembre 2019).
Cette retenue a toutes chances de faire apparaître que le bénéficiaire a trop versé par rapport à l’impôt qu’il doit sur son revenu 2019, incluant seulement, par hypothèse, le quart de l’indemnité. Le fisc lui remboursera ce trop versé au vu de la déclaration qu’il souscrira au printemps 2020. L’impôt afférent aux trois derniers quarts imposables de l’indemnité, rattachés aux revenus des années 2021 à 2023, sortira ainsi en définitive du régime du prélèvement à la source : il sera acquitté avec un décalage d’un an comme il était de règle avant la mise en application de ce régime.
Ressaut d’imposition
C’est le sort des indemnités qui vont être perçues à compter du 1er janvier 2020 qui s’assombrit. Les bénéficiaires d’une indemnité de départ volontaire n’auront plus le choix : seul le système du quotient leur sera accessible dorénavant. Les titulaires d’une indemnité de mise à la retraite en tout ou partie imposable vont quant à eux se trouver pratiquement privés du moyen d’atténuer le ressaut d’imposition lié à la perception de ce revenu de caractère exceptionnel : l’étalement sur quatre ans leur sera interdit et le recours au système du quotient leur sera de fait inapplicable, comme précédemment.
Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour apercevoir qu’un salarié placé devant la possibilité d’un départ proche qu’il peut fixer dès la fin de l’année 2019 a normalement tout intérêt à ne pas attendre 2020 pour partir et encaisser son indemnité.
L’exposé des motifs présenté par le gouvernement pour justifier l’aggravation dont nous parlons souligne que le régime d’étalement n’est pas adapté au contexte du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu.
Un correctif qui avait sa justification
Il fait ainsi allusion au phénomène relevé ci-dessus : l’employeur est tenu d’appliquer à l’indemnité versée un montant de prélèvement susceptible d’excéder la dette d’impôt qui sera définitivement à la charge du contribuable pour l’année de perception de son indemnité après son option pour l’étalement tandis que le remboursement du trop versé aboutit à ce que les trois derniers quarts de l’indemnité échappent ensuite à l’emprise du prélèvement.
Les contribuables concernés goûteront certainement l’humour de cette explication en constatant que, pour sauvegarder la pureté du mécanisme du prélèvement à la source, on préfère les priver radicalement d’un correctif qui avait pourtant sa justification.
Reste à espérer que, dans le cadre de la discussion parlementaire en cours, une attention particulière sera prêtée aux salariés mis à la retraite. Pour rendre leur situation comparable à celles de ceux qui partent volontairement à la retraite, et il serait justifié qu’il en soit ainsi, il faut leur ouvrir la possibilité de demander le bénéfice de la formule du quotient alors même que la fraction imposable de leur indemnité n’excède pas la moyenne de leur revenu imposable des trois dernières années.
Depuis la nuit du 4 août et l’abolition des privilèges, l’égalité devant l’impôt demeure au cœur de notre vie publique. Selon les derniers travaux de l’Insee, avant transferts, les ménages aisés (10 % de la population) ont un revenu 18 fois plus élevé que celui des ménages pauvres, contre 1 à 3 fois après transferts…
Une récente étude de l’Institut des politiques publiques nous apprend que les 0,1 % des Français les plus riches, les 378 foyers fiscaux versant les plus fortes contributions, seraient imposés sur leurs revenus au taux dérisoire de 2 %. Estimation surprenante, étant donné que le taux de l’impôt progressif culmine à 49 % dans la catégorie visée.
L’Assemblée Nationale a récemment adopté un amendement au projet de loi de finances pour 2023 visant à relever de 30 à 35% l’imposition des dividendes perçus par les particuliers lorsqu’ils dépassent de 20% la moyenne de ceux versés au cours des cinq dernières années et proviennent d’une société réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros.
Le Monde organise une toute nouvelle édition des Rencontres de l’Épargne le 12 Décembre prochain
Philippe Bruneau, Président du Cercle des Fiscalistes, interviendra lors de cette conférence tenue à Nice qui sera également disponible en Live.