Vers un traitement fiscal plus dur des indemnités de départ volontaire en retraite ou de mise à la retraite ?

Publié le 19/11/2019


Article paru le 19 Novembre 2019 dans « Le Monde »

L’Assemblée nationale a voté en première lecture la fin de la possibilité d’étalement sur quatre ans des indemnités perçues dans ces circonstances, explique Jean-Yves Mercier, avocat honoraire, membre du Cercle des fiscalistes.

Aujourd’hui, les salariés qui partent volontairement à la retraite en dehors du cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi sont imposables sur le montant total de l’indemnité qu’ils perçoivent. Ceux qui sont mis à la retraite par leur employeur bénéficient d’une exonération qui, dans un certain nombre de situations, ne couvre qu’une fraction seulement de leur indemnité.

Le revenu imposable de l’année du départ se trouve alors augmenté d’une somme qui, en raison du caractère progressif du barème, élève le taux effectif d’imposition du foyer à un niveau supérieur à ce qu’il était ordinairement.

Deux formules

 

Pour atténuer ce ressaut, la loi offre actuellement au salarié partant volontairement à la retraite le choix entre deux formules suivantes :

  • Il peut demander que l’impôt correspondant à son indemnité soit calculé en ajoutant à son revenu ordinaire le quart de cette indemnité. Le supplément qui résulte de ce calcul est ensuite multiplié par quatre pour obtenir le montant de l’impôt effectivement dû sur ce supplément. Ce système, dit du quotient, produit l’effet favorable qu’illustre l’exemple ci-après. Une indemnité de 30 000 euros s’ajoute au revenu ordinaire du foyer s’élevant à 40 000 euros. Sur un revenu 2019 de 70 000 euros, l’impôt s’élèvera à 9 154 euros pour un ménage sans enfant ; sur un revenu de 40 000 euros, à 1 930 euros. En ajoutant le quart de l’indemnité (7 500 euros) à 40 000 euros, l’impôt s’établit à 3 033 euros, soit 1 103 euros de plus que l’impôt calculé sur le revenu ordinaire de 40 000 euros. Le système du quotient permet donc de fixer à 4 412 euros (1 103 x 4) l’impôt grevant l’indemnité et de limiter ainsi la dette globale à 6 342 euros (1 930 euros + 4 412 euros) au lieu de 9 154 euros.
  • Le salarié partant peut aussi demander l’étalement sur quatre ans de l’imposition de son indemnité. Il en rattachera alors le quart à ses revenus de l’année de la perception (il sera alors taxé au titre de ladite année sur 47 500 euros dans notre exemple) et rattachera un nouveau quart de l’indemnité à son revenu de chacune des trois années suivantes. Cette formule lui offre l’avantage de lisser sur quatre ans le paiement de l’impôt grevant son indemnité et, chaque fois que le montant de sa retraite est moins élevé que son ancien revenu d’activité, de réduire sa facture totale : le rattachement des trois quarts de l’indemnité à des revenus qui sont en baisse conduit à alléger le taux d’imposition de l’indemnité de départ.

Le salarié mis à la retraite n’a droit au système du quotient (première formule ci-dessus) que si la fraction imposable de son indemnité dépasse la moyenne de ses revenus imposables des trois années précédentes. Cette situation se rencontre rarement. A défaut, il ne dispose que de la faculté d’étaler sur quatre ans l’imposition de cette fraction imposable (seconde formule).

Application à partir du 1er janvier 2020

Un aménagement est introduit par la loi de finances pour 2020 en cours d’examen. L’article 7 du projet de loi de finances pour 2020, tel qu’il vient a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, prévoit de mettre fin à la possibilité d’étalement sur quatre ans de l’une et l’autre des deux indemnités susvisées, mais de n’y mettre fin que pour les indemnités qui seront perçues à compter du 1er janvier 2020.

Aspect positif de la mesure, les contribuables qui, en 2018 ou antérieurement, ont encaissé des indemnités qu’ils avaient choisi de soumettre au régime de l’étalement continueront jusqu’à son terme le rattachement par quarts de l’indemnité imposable. Leur situation n’est donc pas affectée par la réforme.

Les bénéficiaires d’une indemnité perçue en 2019 auront encore le droit de se prévaloir du régime d’étalement. Du fait de l’instauration du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, l’employeur aura appliqué à cette indemnité une retenue correspondant au taux effectif d’imposition de son salarié pour l’année 2017 (indemnités versées au cours de la période 1er janvier 2019 – 31 août 2019) ou à son taux effectif d’imposition pour l’année 2018 (période septembre – décembre 2019).

Cette retenue a toutes chances de faire apparaître que le bénéficiaire a trop versé par rapport à l’impôt qu’il doit sur son revenu 2019, incluant seulement, par hypothèse, le quart de l’indemnité. Le fisc lui remboursera ce trop versé au vu de la déclaration qu’il souscrira au printemps 2020. L’impôt afférent aux trois derniers quarts imposables de l’indemnité, rattachés aux revenus des années 2021 à 2023, sortira ainsi en définitive du régime du prélèvement à la source : il sera acquitté avec un décalage d’un an comme il était de règle avant la mise en application de ce régime.

Ressaut d’imposition

C’est le sort des indemnités qui vont être perçues à compter du 1er janvier 2020 qui s’assombrit. Les bénéficiaires d’une indemnité de départ volontaire n’auront plus le choix : seul le système du quotient leur sera accessible dorénavant. Les titulaires d’une indemnité de mise à la retraite en tout ou partie imposable vont quant à eux se trouver pratiquement privés du moyen d’atténuer le ressaut d’imposition lié à la perception de ce revenu de caractère exceptionnel : l’étalement sur quatre ans leur sera interdit et le recours au système du quotient leur sera de fait inapplicable, comme précédemment.

Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour apercevoir qu’un salarié placé devant la possibilité d’un départ proche qu’il peut fixer dès la fin de l’année 2019 a normalement tout intérêt à ne pas attendre 2020 pour partir et encaisser son indemnité.

L’exposé des motifs présenté par le gouvernement pour justifier l’aggravation dont nous parlons souligne que le régime d’étalement n’est pas adapté au contexte du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu.

Un correctif qui avait sa justification

Il fait ainsi allusion au phénomène relevé ci-dessus : l’employeur est tenu d’appliquer à l’indemnité versée un montant de prélèvement susceptible d’excéder la dette d’impôt qui sera définitivement à la charge du contribuable pour l’année de perception de son indemnité après son option pour l’étalement tandis que le remboursement du trop versé aboutit à ce que les trois derniers quarts de l’indemnité échappent ensuite à l’emprise du prélèvement.

Les contribuables concernés goûteront certainement l’humour de cette explication en constatant que, pour sauvegarder la pureté du mécanisme du prélèvement à la source, on préfère les priver radicalement d’un correctif qui avait pourtant sa justification.

Reste à espérer que, dans le cadre de la discussion parlementaire en cours, une attention particulière sera prêtée aux salariés mis à la retraite. Pour rendre leur situation comparable à celles de ceux qui partent volontairement à la retraite, et il serait justifié qu’il en soit ainsi, il faut leur ouvrir la possibilité de demander le bénéfice de la formule du quotient alors même que la fraction imposable de leur indemnité n’excède pas la moyenne de leur revenu imposable des trois dernières années.

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