Taxation du revenu économique des profits thésaurisés dans les holdings personnels

Publié le 6/12/2023

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La taxation des profits engrangés par les ultra-riches dans leurs holdings personnels relève de l’utopie.

Dans un rapport de juin 2023, l’Institut des Politiques Publiques constate que les contribuables les plus fortunés concentrent leur patrimoine dans des sociétés holdings soumises à l’impôt sur les sociétés qui conservent pour elles, au lieu de les distribuer sous forme de dividendes, les profits tirés de la gestion de ce patrimoine. Ils limitent par ce biais leur exposition à l’impôt sur le revenu à un montant infinitésimal par rapport au niveau de leur revenu économique. Cette observation débouche sur la recommandation d’assujettir ces « ultra-riches » à l’impôt sur tout ou partie des sommes ainsi thésaurisées. Les auteurs du rapport reconnaissent toutefois l’existence de plusieurs obstacles juridiques freinant la mise en œuvre d’une telle taxation. Nous croyons utile de contribuer à l’enrichissement de ce catalogue en relevant une cause d’empêchement, à notre sens beaucoup plus fondamentale, liée à la détermination de la cible visée.

Notre législation comporte déjà, au titre de la prévention des abus, une mesure tendant à assujettir à l’impôt le titulaire d’une participation d’au moins 10 % dans une structure de gestion patrimoniale établie hors de France chaque fois que cette structure bénéficie d’un régime fiscal privilégié. Cette disposition, qui permet l’imposition des profits que la structure s’abstient de distribuer, repose sur des éléments de fait qui ne prêtent que peu à discussion : savoir si, oui ou non, la taxation de l’Etat d’implantation est notoirement plus clémente que celle en vigueur en France, étant précisé que l’absence d’imposition des profits qu’une société holding tire de ses participations est reconnue comme n’étant pas l’indice d’un privilège puisque cette règle relève du droit commun dans notre pays.

Les sociétés holding visées par le rapport représentent un sous-ensemble de la communauté des sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés, communauté formée de la multitude de nos entreprises françaises d’une certaine taille. Or il n’existe aucune norme générale qui préside à l’arbitrage auquel le dirigeant d’une entreprise profitable procède chaque année entre la part du bénéfice affectée à la distribution et celle placée en réserve notamment pour financer les investissements. Ce sont les circonstances du moment, confrontées aux objectifs des actionnaires, qui déterminent ce choix pouvant aller librement de la distribution intégrale du profit jusqu’à l’affectation totale de celui-ci aux réserves.

Les dirigeants qui forment le cœur de cible de la préconisation dont nous parlons jouissent naturellement de cette même liberté. Pour prospérer, la disposition imaginée à leur encontre devrait définir les caractéristiques des sociétés dont la situation justifie l’application d’un traitement particulier. Chacun conviendra qu’il est inimaginable que l’aggravation frappe l’ensemble des actionnaires contrôlant des sociétés opérationnelles dominées par une société holding. En effet, la société holding est aujourd’hui le modèle de détention privilégié de nos entreprises, qu’il s’agisse d’ETI ou de PME. On serait donc conduit à définir des critères d’application fondés sur l’importance des actifs détenus par la société holding et celle des profits qu’elle s’abstient de distribuer. Or la définition d’un revenu ne peut pas reposer sur une règle à géométrie variable. S’il est loisible au législateur de réputer distribués à l’actionnaire des profits que la société conserve pour elle au-delà de ce qui est estimé nécessaire, la réglementation qu’il édicterait à cet effet atteindrait nécessairement toute société dont la situation répond aux critères posés, sans considération de taille.  En effet, s’il est possible de graduer le taux d’imposition d’un revenu en fonction de son niveau, on ne saurait décider qu’un revenu qui n’en est pas un devient taxable en considération du volume qu’il représente. Et il existe au surplus de sérieux doutes sur la validité intrinsèque d’une législation qui reviendrait à contraindre les sociétés à procéder à des distributions, portant ainsi atteinte à la liberté d’entreprendre garantie par le préambule de la Constitution.

La préconisation examinée ferait elle-même surgir plusieurs problèmes épineux. Sur quels fonds l’actionnaire concerné réglerait-il l’impôt afférent à des sommes qu’il n’aura pas appréhendées, alors que l’on sait que l’impôt ne peut pas revêtir un caractère confiscatoire ? Comment pourvoirait-on à la double imposition appelée à résulter de la distribution effective par la société de dividendes sur lesquels l’impôt aurait déjà été acquitté préventivement par le bénéficiaire ? Comment le fisc pourrait-il se prévaloir de son droit d’imposer à l’égard des actionnaires résidents d’un Etat ayant conclu avec la France une convention fiscale sachant que l’ensemble de nos conventions n’accordent à la France le droit d’imposer que les seuls dividendes effectivement versés ?

Le renforcement de l’effort fiscal des contribuables s’obtient traditionnellement par deux voies radicalement opposées : aggravation ou incitation. La formule dont nous venons de débattre susciterait inévitablement de la part des personnes concernées l’adoption de parades qui en ruineraient rapidement l’efficacité : la délocalisation en serait une. A l’opposé figure la formule incitative, laquelle reposerait en l’occurrence sur l’atténuation de la charge fiscale liée à l’appréhension des dividendes. Nous lançons l’idée d’accorder cet assouplissement aux actionnaires familiaux, au nom de l’utilité sociale que représentent la préservation et l’essor de nos entreprises nationales sous l’égide de leurs fondateurs et continuateurs. Dans le contexte actuel de protestation contre l’accumulation de la richesse, nous reconnaissons que cette proposition risque de passer pour une provocation. Mais de quel côté penche l’intérêt public ?

Par Philippe Bruneau, Président du Cercle des fiscalistes, Jean-François Desbuquois, avocat associé FIDAL, membre du Cercle des fiscalistes et Jean-Yves Mercier, avocat honoraire, Vice-Président du Cercle des fiscalistes. Tribune publiée dans Le Figaro, le 06/12/2023

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