Le législateur doit remettre d’équerre le marché immobilier

Publié le 31/07/2023

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« Le marché du logement dans son ensemble est bloqué et notre législateur s’agite déjà pour promettre des mesures transpartisanes à l’automne. »

Le gouvernement rencontre des problèmes de coordination dans sa politique immobilière. Le marché locatif est déséquilibré. Il faut mettre en place une réforme d’ampleur pour encourager la construction de nouveaux logements et aider les propriétaires à réaliser la transition écologique, en s’appuyant sur les points énoncés par ces auteurs.

Par Philippe Baillot, docteur en droit et membre du Cercle des fiscalistes et Jean-François Desbuquois, avocat associé du cabinet FIDAL et membre du Cercle des fiscalistes, Les Échos, le 31 Juillet 2023

« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».

Cet aphorisme de Bossuet semble avoir été écrit pour décrire notre politique immobilière. Sur le plan réglementaire, les dispositions se multiplient sans aucune cohérence. L’interdiction de vendre, de louer, voire d’ occuper des logements classés de E à F à l’horizon 2035 conduit au déclassement potentiel de plus de 7 millions de logements sur un parc de 33 millions, sauf à entreprendre de coûteux travaux.

Les réglementations destinées à assurer la protection architecturale, ainsi que le droit de la copropriété, freinent la réalisation des travaux nécessaires. La mise aux normes de nombreux locaux, ainsi que la création de nouvelles surfaces d’habitation par transformation de combles d’immeubles ou de surfaces précédemment utilisées par le secteur tertiaire se révèlent désormais impossibles. La norme zéro artificialisation des sols limite et renchérit drastiquement le foncier. L’effondrement des mises en construction télescope frontalement la croissance des besoins pour ce qui est de logement.

La fiscalité y prend même toute sa part avec l’obligation nouvelle de déclaration des biens immobiliers qui tourne au cauchemar pour les propriétaires de plusieurs biens locatifs. Naturellement, chacune des mesures susvisées a sa propre logique. Pour autant leur addition, en l’absence de coordination réelle entre les différentes réglementations, s’avère exceptionnellement coûteuse et propre à éloigner les investisseurs. En l’absence de toute vision d’ensemble, elle conduit même à un résultat désastreux.

En finir avec la pression fiscale

Le marché locatif ne parvient plus à s’équilibrer. Les propriétaires de biens à louer traditionnellement nus se tournent vers de nouvelles formules : le bail civil pour les résidences secondaires, la location meublée avec services, voire se retirent purement et simplement du marché. Ainsi dans nombre de villes ne trouve-t-on guère plus de biens à louer nus. Sur le plan fiscal, l’assertion du candidat Macron en 2017 « je transformerai l’ISF en impôts sur la rente immobilière » dit tout ! L’immobilier est-il vraiment si « improductif » ?

Le marché locatif ne parvient plus à s’équilibrer

La crise sociale qui couve pourrait démonter le contraire. En toute hypothèse, l’immobilier est, par nature, difficilement délocalisable et le législateur fiscal ne connaît donc aucun frein à son appétit de recettes. Contre toute logique, il met même tout son poids sur la classique location non meublée. Ainsi, les locations meublées permettent aux propriétaires de bénéficier, entre autres, d’un abattement fiscal de 50 % jusqu’à 72.600 euros.

Pour les meublés touristiques, cet abattement peut même atteindre 71 %, avec un plafond de 176 200 euros. Le resserrement du rendement de l’immobilier locatif traditionnel lui ôte tout charme. Dans une période où les taux d’intérêt sont élevés, dépassant les 3 %, il serait peu logique de rechercher un revenu net inférieur à 2 %. Ce serait même risqué, surtout si vous avez des impayés ou des périodes où le bien est vacant. De plus, ce revenu pourrait être soumis à un impôt sur le capital de 1,5 % et il ne serait pas déductible.

Pour un véritable « plan logement »

Ainsi, on ne construit plus, on ne loue plus. Le marché du logement dans son ensemble est bloqué et notre législateur s’agite déjà pour promettre des mesures transpartisanes à l’automne. La crainte est de voir une application nouvelle de la loi de Gresham : « la mauvaise fiscalité chasse la bonne ». La solution ne saurait être recherchée dans une éradication des formules fiscales qui fonctionnent. Elle doit l’être dans leur généralisation et, mieux encore, dans un assouplissement des règles d’amortissement, voire la création d’un « plan d’épargne immobilier », sur le modèle du PEA, mais investi en parts de SCPI directement créatrices de valeurs.

Elle devra surtout être recherchée dans le cadre d’un véritable « plan logement » visant à favoriser la création de nouveaux locaux d’habitation et à permettre aux propriétaires de satisfaire l’impérieux objectif de transition écologique. Ce plan devra nécessairement comprendre des mesures fiscales réellement incitatives mais aussi assurer l’adaptation et la mise en cohérence de toutes les réglementations applicables à l’immobilier afin d’assurer l’atteinte de ces objectifs. Seule une telle réforme d’ampleur pourra redonner aux Français le goût d’un « investissement improductif », à même de nous éviter une crise sociale et environnementale majeure.

 

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